Dossier

AÉRONAUTIQUE : Une filière en zone de turbulence

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Très affectée par la crise sanitaire et la chute du trafic aérien mondial, la filière aéronautique française connaît de nombreux plans sociaux. Tout un symbole. La grand-messe de l’aéronautique n’aura pas lieu cette année : le salon international de l’aéronautique et de l’espace de Paris, qui se tient tous les deux ans au Bourget, est annulé. Une décision qui illustre la profonde crise touchant le secteur aéronautique.

Par Constance de Cambiaire.

En 2020, le transport aérien mondial a chuté de 90 % et l’activité des constructeurs de l’ordre de 50 % par rapport à l’année précédente. Les conséquences de la crise sanitaire sur le tissu aéronautique sont très violentes à l’heure actuelle : les activités de service (maintenance des équipements, gestion du trafic aérien, etc.) pâtissent d’une chute du trafic passagers d’environ 75 % depuis le début de l’année, tandis que les constructeurs ont abaissé leurs cadences de production de 40 % en moyenne, souligne l’Institut Montaigne dans un article du 14 décembre.

Pluie de suppressions d’emplois

Conséquence de cette chute des cadences de production ? Les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) se multiplient dans le secteur aéronautique qui représente en France 300 000 emplois directs dont les deux-tiers chez des sous-traitants.

Alors que l’américain Boeing a annoncé la suppression de 30 000 postes, son concurrent européen, Airbus qui avait dès le mois d’avril tablé sur une baisse de 40 % de sa production, a quant à lui, annoncé la suppression de 15 000 emplois, dont un tiers en France. Le site de Toulouse perdrait plus de 3 500 emplois, dont 2 398 à la production et 980 au siège, 386 postes à Saint-Nazaire (12 % de ses effectifs) et 484 à Nantes. Le fabricant d’avions régionaux à hélices ATR, dont la chaîne d’assemblage et le siège sont à Toulouse, perdrait également 186 emplois sur 1 209 postes, soit plus de 15 % de ses effectifs. La filiale d’aérostructure Stelia qui fabrique les pointes avant de fuselage d’Airbus à Meaulte, perdrait 704 postes sur 4 036…. Et la liste est loin d’être exhaustive.

Côté compagnies aériennes, Air France, avec 7 712 suppressions d’emplois annoncées, occupe la première marche du palmarès des réductions d’effectifs déclarées depuis mars…

Plusieurs années pour s’en remettre

La crise est profonde. Selon l’Institut Montaigne, même dans un scénario optimiste de reprise générale de l’activité en 2021 – grâce aux programmes de vaccination – le secteur mettra plusieurs années à se remettre de la crise actuelle.

Un point de vue partagé par Éric Monate, cosecrétaire général de l’Union syndicale de l’aviation civile – CGT, qui rappelle qu’après chaque crise, il a fallu attendre plusieurs années avant de retrouver le niveau de trafic aérien d’avant-crise. « Après les attentats du World Trade Center en 2001 il a fallu attendre 2004 pour retrouver le niveau de trafic d’avant le drame, explique-t-il. Idem en 2008 avec la crise des subprimes, le trafic a retrouvé son niveau d’avant crise en 2014. » Et lors de ces crises, le trafic n’a reculé « que » de 15 % à 20 %. Rien à voir avec l’effondrement observé en mars dernier !

Par ailleurs il est possible que la crise sanitaire que nous connaissons depuis un an change en profondeur les habitudes des consommateurs. On ignore la manière dont évoluera le comportement des individus et des entreprises, une fois la crise sanitaire passée.

« Les compagnies aériennes vivent grâce à deux types de voyages : le tourisme et les voyages d’affaires. Or, si les entreprises se mettent à travailler différemment et à ne plus faire voyager leurs salariés cela aura un fort impact sur le trafic aérien », prévient Éric Monate.

30 000 emplois sauvegardés

Malgré ce contexte, Éric Trappier, président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) a fait preuve d’un certain optimisme lors de la présentation de ses vœux à la presse le 8 janvier. De fait, il estime qu’environ 30 000 emplois pourraient être sauvegardés grâce aux mesures de soutien dans la filière aéronautique française sur les 60 000 potentiellement menacés. « Cela dépendra évidemment de la durée de la crise et du moment où la reprise va se faire. Mais grâce au chômage partiel de longue durée, on doit pouvoir préserver les chiffres dont je parle pourvu que cette reprise arrive quelque part en 2021 », a espéré celui qui est également PDG de de Dassault Aviation. La filière a pu éviter les plans sociaux massifs et fait preuve d’une « forte résilience » : « Il n’y a pas eu d’effondrement, même si elle a été fortement secouée », poursuit-il. Chez les nombreux sous-traitants de la filière,

« il y a eu très peu de défaillances d’entreprises ou de procédures collectives », a abondé Christophe Cador, président du comité AERO-PME du Gifas.

Après avoir évité le pire en 2020, « l’année 2021 sera consacrée à reprendre le chemin des hausses de cadence », prédit Éric Trappier qui table à la fois sur une remontée progressive des livraisons d’avions courts et de moyen-courriers ainsi que sur le soutien de la France et de l’Europe aux dépenses militaires et spatiales. L’année 2021 devrait notamment voir le lancement de la phase 2 du projet d’avion de combat européen, les premières commandes de l’eurodrone MALE (projet qui vise à fournir un drone volant à moyenne altitude et de grande autonomie aux armées française, allemande et italienne), la conclusion de nouvelles commandes de Rafale pour la Grèce et la France, ainsi que le possible lancement d’un projet de constellation européenne de satellites de télécommunication.

Décarboner le transport aérien

Un discours ambiant, appelant de ses vœux un retour au « monde d’avant » qui en gêne plus d’un. « Tous les discours qu’on entend à l’heure actuelle espèrent une reprise du trafic aérien à des niveaux d’avant crise, regrette Éric Monate. Notre position est différente, car selon nous, revenir à des niveaux d’avant crise n’est pas souhaitable au niveau environnemental. L’idée commence à émerger qu’on ne peut pas continuer cette course en avant avec toujours plus de trafic, toujours plus d’avions. Nous sommes parvenus à des situations irraisonnables avec 4 voire 5 compagnies aériennes proposant les mêmes vols à quelques heures d’écart ! » Plusieurs postes sont à considérer selon lui. « Les solutions sont multiples. Mais on peut envisager de limiter la concurrence, utiliser des avions moins polluants et pouvant transporter plus de passager. » En résumé, il faut innover.

C’est l’un des points du plan de soutien annoncé en juin pour tenter de juguler l’hémorragie. Il comprend notamment un fonds spécifique, doté dans un premier temps d’environ 600 M€, pour recapitaliser et consolider les sous-traitants les plus fragiles, ainsi qu’une enveloppe de 1,5 Md € sur 3 ans pour soutenir les dépenses de R&D dans l’industrie avec pour ambition d’accélérer la décarbonation du transport aérien par des innovations technologiques.

Avions à hydrogène, hybrides-électriques ou alimentés par du kérosène alternatif… Plusieurs voies technologiques sont envisagées. Airbus a par exemple annoncé fin septembre, trois concepts d’avions « zéro émission », reposant sur l’hydrogène comme source d’énergie primaire. L’ambition affichée est de commercialiser d’ici 2035 au moins un appareil « zéro émission » capable de réaliser des vols de 3 500 kilomètres, soit une distance comprise typiquement entre celle d’un trajet régional et d’un moyen-courrier. Un démonstrateur verrait a priori le jour entre 2026 et 2028.  « Je suis convaincu que l’hydrogène utilisé aussi bien dans les carburants synthétiques et comme source d’énergie primaire, peut permettre de réduire significativement l’impact climatique de l’aviation, a indiqué le président d’Airbus, Guillaume Faury, lors de la présentation du projet en septembre. La transition vers l’hydrogène comme source d’énergie primaire, solution retenue pour ces concepts, exigera une action décisive de tout l’écosystème aéronautique. Ensemble, avec le soutien des gouvernements et des partenaires industriels, nous pouvons relever ce défi et promouvoir les énergies renouvelables et l’hydrogène afin d’assurer au secteur aéronautique un avenir durable. »

Une dynamique qui offre de belles perspectives à une filière en grande difficulté…

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