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Est-il plus facile de licencier désormais ?

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La loi Travail d’août 2016 d’abord, les ordonnances de septembre 2017 ensuite ont modifié le droit du licenciement. Simplification et sécurisation des procédures peut-être… Mais l’enjeu consistait aussi à affaiblir la résistance du salarié. Retour sur ces changements à la lumière d’un décryptage du questions/réponses (Q/R) publié en juillet 2020 par le gouvernement.

Par Ronan Darchen (cabinet Alinéa).


Après la loi dite « de sécurisation de l’emploi » de 2013 qui concentre les procédures de PSE sur la négociation des mesures et la loi « Macron I » de 2015 limitant entre autres l’application de l’ordre des licenciements par zones d’emploi, la loi « Travail » fut la troisième et dernière loi sociale du quinquennat de François Hollande. Entrée en vigueur en août 2016, après plusieurs mois d’opposition et sans être votée au Parlement (double 49-3), elle est en partie un prolongement des lois précédentes et a donné le coup d’envoi d’une réforme plus profonde encore qui a pris la forme des ordonnances Macron de septembre 2017. Elle inaugurait la réécriture du Code du travail selon la nouvelle architecture en trois volets (ordre public, domaines de la négociation collective et dispositions supplétives) tandis que les ruptures du contrat de travail constituaient déjà un thème central. Confronté à la résistance des syndicats et de sa propre majorité, le gouvernement n’avait alors pas donné intégrale satisfaction aux organisations patronales en matière de licenciement mais n’était-ce pas que partie remise ?

Pourquoi faciliter le licenciement ?

L’ordonnance Macron n°3 et indirectement l’ordonnance n°1 ont modifié beaucoup de règles sur le droit de la rupture du contrat. L’argument est éculé mais a ses supporters : le droit du licenciement est accusé d’être responsable du chômage en raison de règles trop rigides et complexes qui entraîneraient une insécurité juridique pour les entreprises et seraient donc autant de freins à l’embauche. Ce postulat sert la réforme dont le sens est de simplifier et sécuriser les procédures de licenciement pour les employeurs. Il s’agit de limiter le risque de contentieux, de donner une prévisibilité financière aux entreprises en cas de contestation fructueuse du salarié mais aussi de trouver des voies alternatives et sécurisées aux licenciements « traditionnels » tels que la rupture conventionnelle individuelle depuis 2008 et la rupture conventionnelle collective aujourd’hui. En parallèle, la négociation collective est devenue un outil d’évolution forcée des conditions contractuelles avec les accords de performances collectives (APC) qui ne laissent guère de place aux salariés réfractaires. 

Formalisme et motivation du licenciement

La loi de ratification de mars 2018 reprend l’ordonnance qui cherche à limiter les effets d’une motivation incomplète imprécise ou maladroite qui exposait l’employeur à être condamné pour licenciement injustifié. Elle instaure ainsi un droit de précision pour l’employeur postérieurement à l’envoi de la lettre de licenciement et un décret (n°2017-1820 du 2 décembre 2017) fixe des modèles de lettre de licenciement pour limiter les risques d’erreurs de l’employeur. Il s’agit donc clairement de sécuriser l’entreprise. Le « guide » Questions/Réponses du 15 juillet 2020 ne cache pas l’objectif d’aider l’employeur pour qu’il n’oublie pas des mentions obligatoires et évite ainsi les irrégularités de forme. Un mode d’emploi que les patrons des petites entreprises sans service RH apprécieront certainement plus que les salariés licenciés ! Les sociétés les plus importantes ne sont pas oubliées puisqu’on trouve aussi un modèle en cas de PSE : autant dire donc que ce ne sont pas que les TPE (très petites entreprises) qui sont visées puisque seules les entreprises de plus de 50 salariés peuvent connaître cette procédure de licenciement collectif. Le « Questions/Réponses » n’oublie pas d’attirer l’attention de l’employeur sur la nécessité d’adapter le modèle quand le contrat de travail ou la convention collective prévoit des points particuliers.

Motif imprécis ? L’employeur peut compléter !

Tout licenciement quel que soit sa nature (motif économique, personnel) doit être motivé et l’envoi de la lettre de licenciement matérialise le moment où la rupture est consommée. Lorsque le salarié entend contester son licenciement, la lettre de licenciement, et donc la motivation écrite, fixe les « limites du litige » pour le juge. Ainsi, quand l’employeur a motivé sa lettre de manière imprécise, il s’expose à être condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse voire à un licenciement nul mais l’article L1235-2 a été modifié. Cet article indique désormais que les motifs contenus dans la lettre de licenciement pourront être précisés par l’employeur ultérieurement à l’envoi de la lettre. Cette démarche peut s’effectuer de sa propre initiative dans les 15 jours suivant la notification ou à la demande du salarié dans un délai de 15 jours suivant la réception du courrier. Dans ce dernier cas qu’on supposera rare même si le Q/R du ministère invite le salarié à effectuer la demande de précision, l’employeur pourra répondre au salarié sous 15 jours. Il est évident que le législateur a voulu donner une « seconde chance » à l’employeur qui aura écrit dans la précipitation et n’aura bénéficié qu’ensuite du conseil de son avocat ou de son expert-comptable. Curieusement le Q/R précise que l’employeur ne précise le motif que s’il le souhaite. Toutefois, en cas de précision des motifs, le délai de prescription d’une contestation du licenciement est décalé d’autant mais sans que cela n’impacte en revanche le point de départ du préavis du salarié licencié.

L’enjeu de cette modification de l’article L1235-2 n’est pas anodin pour le salarié qui souhaite engager une action car l’insuffisance demotivation telle qu’elle ressort de la lettre de licenciement initiale ne produira plus automatiquement un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si le conseil de prud’hommes estime que la lettre est insuffisamment motivée mais que le licenciement est, après précisions, finalement fondé, le salarié n’aura droit au mieux qu’à une indemnité d’au plus un mois de salaire. Et si le licenciement est jugé infondé au surplus d’une lettre imprécise, seule l’indemnisation du licenciement injustifié sera due. Le document Q/R prend le soin d’indiquer qu’aucun nouveau motif ne peut être ajouté : encore heureux !

Licenciement injustifié ?

Attention à ne pas confondre les indemnités dues en cas de licenciement, quel qu’il soit, et les indemnités sanctionnant l’employeur pour un licenciement injustifié, autrement dit abusif. C’est bien de cette sanction de l’employeur qui prive sans raison valable un salarié de son emploi qu’il s’agit et non des indemnités conventionnelles ou légales de licenciement (la plus favorable des deux s’appliquant dans tous les cas). L’ordonnance substitue donc au récent barème indicatif de l’indemnisation du licenciement injustifié défini en 2016 et qui ne devait pas contraindre le juge, un barème impératif depuis septembre 2017 avec une indemnisation minimale et maximale à respecter en cas de licenciement injustifié. Cela permet à l’employeur d’évaluer le coût d’un éventuel contentieux d’une part mais également de limiter considérablement les cumuls d’indemnisation du salarié quand d’autres règles du licenciement sont enfreintes. La nouvelle règle légale réduit également les délais du salarié pour agir ainsi que les sommes (plancher et plafond) applicables à certaines situations de licenciements.

Le président de 2017 qui a succédé au ministre de l’Économie de 2015 a imposé sa volonté. Rappelons en effet que le barème introduit dans une loi d’août 2015 avait été retoqué par le Conseil constitutionnel avant de réapparaître sous un format compatible selon les Sages dans la loi d’août 2016. Mais cela ne suffisait apparemment pas et l’ordonnance n°3 de 2017 veut contraindre le juge. L’ordonnance a donc modifié l’article L1235-3 en fixant un montant minimum et maximum, exprimé en nombre de mois de salaire, des indemnités pouvant être allouées et ce, en fonction de l’ancienneté du salarié. Les montants plancher sont différenciés selon que l’entreprise compte plus ou moins de 11 salariés. Il est en outre précisé pour toutes les entreprises que le juge peut tenir compte des indemnités déjà versées au salarié lors de la rupture de son contrat de travail et donc « globaliser », c’est-à-dire les réduire, bien que l’indemnisation du licenciement injustifié n’ait pas le même objet. Encore une manière d’introduire un plafond et de dissuader le salarié de saisir le juge.

Le « barème Macron »

Avant septembre 2017, le licenciement sans cause réelle et sérieuse était réparé en fonction du préjudice subi par le salarié. La libre appréciation du juge avait été relativement préservée malgré le barème indicatif de 2016 et un minimum de 6 mois de salaire s’appliquait pour les salariés de plus de 2 ans d’ancienneté dans les entreprises de 11 salariés ou plus. Le Code du travail prévoyait en outre que les réparations en cas d’irrégularités de procédure pouvaient parfois se cumuler à l’indemnisation du licenciement injustifié. L’ordonnance y met fin tandis que le document Q/R vante surtout à son point 12 les améliorations intervenues avec la loi Travail. À savoir l’indemnisation à compter de 8 mois d’ancienneté chez le même employeur et la revalorisation de 25 % pour les dix premières années. Il précise aussi que ce barème vaut pour le licenciement comme la rupture conventionnelle, qu’elle soit individuelle ou collective. Bien sûr, une convention collective, un accord d’entreprise ou la négociation individuelle peuvent viser plus haut.

Échapper au barème ?

Dans certaines situations, l’indemnisation minimale et maximale nes’applique pas. Une voie que n’hésiteront pas à rechercher les conseillers des salariés confrontés à des licenciements qu’ils considèrent abusifs. Il en est ainsi lorsque le licenciement intervient avec une violation d’une liberté fondamentale ou encore en cas de harcèlement moral comme sexuel, de situation de discrimination. Le barème pourra aussi être écarté quand le licenciement fait suite et est lié à une action judiciaire du salarié laissant alors supposer des représailles ou si le salarié a dénoncé un crime ou un délit. Enfin, le juge retrouve également sa liberté quand l’employeur est sanctionné pour manquement à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, au statut protecteur du salarié détenteur d’un mandat, quand le licenciement intervient lors d’une période de protection liée à la maternité ou un accident du travail.

Le document Q/R du ministère rappelle les périodes de protection des salariées enceintes, en congé maternité ou de retour de congé maternité et la possibilité de demander la réintégration en cas de licenciement nul (Q/R 15). Le plancher d’indemnisation abaissé à six mois est aussi mentionné. C’est aussi le cas quand un harcèlement est constaté (Q/R 20).

Des délais de contestation plus courts

L’ordonnance n°3 a également modifié les règles de prescription des actions judiciaires portant sur la rupture du contrat. Le Q/R du ministère parle élégamment d’harmonisation des délais. En les rendant plus courts, le justiciable dispose évidemment de moins de temps pour envisager et préparer son action. L’objectif vise ici la sécurisation demandée par les organisations patronales. Désormais, les actions judiciaires des salariés portant sur la rupture de leur contrat se prescrivent à 1 an, sauf exceptions telles que la discrimination ou le harcèlement pour lesquels le délai est de cinq années, à compter de la notification de la rupture. Concrètement cette modification ne change rien pour le licenciement économique ou la rupture conventionnelle pour lesquels la prescription était déjà d’un an ; mais elle concerne la majorité des licenciements car la rupture du contrat est le plus souvent non pas économique mais disciplinaire pour inaptitude ou encore insuffisance professionnelle. Notons que la 6ème et dernière parue des ordonnances Macron précise que le délai pour contester s’applique que celui-ci soit mentionné dans la lettre de licenciement ou non.

Autres facilitations du licenciement économique

L’effet des ordonnances est multiple puisque la réforme agit à la fois sur le périmètre d’appréciation du motif économique et celui du reclassement interne du salarié. La loi El Khomri d’août 2016 avait déjà apporté des modifications en fixant des références précises pour apprécier les difficultés économiques lorsque les juges sont amenés à se prononcer sur le caractère réel et sérieux du licenciement. L’ordonnance de septembre 2017 quant à elle modifie le cadre géographique d’appréciation du motif économique qu’il s’agisse de difficultés économiques ou de sauvegarde de la compétitivité en la restreignant aux entreprises du groupe qui licencie et relevant du même secteur d’activité situé en France. Une révision de périmètre qui permet d’isoler plus facilement une structure quand elle appartient à un groupe florissant (jusque-là la réalité et le sérieux du motif économique s’appréciait au niveau international). La loi nouvelle en profite pour définir le groupe et le secteur d’activité. C’est aussi une façon de freiner les investigations de l’expert du CSE et du juge même si la loi de ratification a tempéré légèrement en écartant la limite nationale si une fraude est démontrée.

Pour les groupes de dimension internationale, cette évolution permet de licencier en France avec moins de craintes de voir les licenciements contestés sur leur justification lorsqu’ils affichent une activité et des résultats positifs dans d’autres pays. Pour les salariés de ces groupes, cela restreint les possibilités de contester leur licenciement. Le document Q/R (31) rappelle que la Direccte n’intervient pas sur le choix du secteur d’activité car c’est un élément participant à l’appréciation du motif économique qui revient au juge judiciaire. En revanche, la Direccte a dans son champ d’action la qualité de l’information tant du livre I (le PSE) que du livre II (la présentation des raisons économiques et de la nouvelle organisation) et il ne faut pas hésiter à la mobiliser pour qu’elle s’implique sur ce point essentiel.

Pour définir la notion de groupe, l’ordonnance reprend et adapte la définition « capitalistique » donnée par la jurisprudence. Le groupe à prendre en considération est l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une société dominante. Quant au secteur d’activité, il sera « caractérisé notamment par la nature des produits, biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution se rapportant à un même marché ». Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une définition juridique mais plutôt d’éléments devant guider les juges et les experts des représentants du personnel.

Autre dimension de la réforme en matière de droit du licenciement économique, l’obligation de reclassement dans le groupe en France reste une obligation en toutes circonstances mais la possibilité pour le salarié de solliciter l’examen des reclassements à l’international est abrogée. Ce pourrait toutefois devenir une obligation conventionnelle par exemple si une mesure analogue prenait place dans un accord majoritaire sur le PSE. L’ordonnance autorise une démarche moins personnalisée pour les propositions de reclassement faites au salarié puisque l’employeur peut se contenter de diffuser une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés.

Est-ce la meilleure façon de l’impliquer pour réaliser son obligation de reclassement, le licenciement économique devant a priori rester l’ultime mesure ?

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