Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC d’Orange, revient sur le référendum de septembre 2021 qui a permis de valider de justesse l’accord d’intéressement de l’UES Orange business services. Si cet accord a été soutenu par la CFE-CGC, il a été en revanche l’objet de vives contestations de la part des syndicats non-signataires. Photo : Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC d’Orange.
Par Emmanuel Franck
Les salariés de 3 filiales d’Orange ont validé par référendum, en septembre, un accord d’intéressement signé par la CFE-CGC. Pourquoi une telle procédure ?
La CFE-CGC a signé le 30 juin 2021 le projet d’accord d’intéressement pour les salariés d’Orange business services SA, d’Orange cyberdefense et d’Enovacom. Ces filiales d’Orange emploient environ 5 300 salariés. La signature de la CFE-CGC était toutefois minoritaire car nous n’avons recueilli que 48 % des voix au premier tour des dernières élections des titulaires aux CSE. Les deux autres syndicats représentatifs, la CFDT et la CGT, n’ont pas signé l’accord.
Celui-ci ne pouvait être mis en œuvre dans ces conditions car la validité d’un accord d’entreprise est subordonnée à sa signature par des syndicats ayant obtenu plus de 50 % des suffrages aux élections professionnelles. Nous avons donc demandé l’organisation d’un référendum. Le Code du travail (article L2232-12) autorise en effet un syndicat signataire à demander un référendum pour valider un accord signé par des syndicats représentant entre 30 % et 50 % des suffrages. L’employeur dispose alors d’un délai d’un peu plus de deux mois pour organiser le référendum. Le nôtre s’est déroulé du 7 au 9 septembre par vote électronique.
Comment interprétez-vous le faible score des partisans de l’accord ?
L’accord a été approuvé par 54 % des votants. C’est peu en effet, mais cela s’explique par le faible taux de participation (42 %). Plus il y a de votants, plus ces votants sont éloignés de la représentation sociale légale de l’entreprise. À l’inverse, moins il y a de votants, plus les militants et les élus sont représentés parmi eux. Le score en faveur de l’accord au référendum est donc proche de celui obtenu auprès des syndicats.
Comment la campagne s’est-elle déroulée ?
Compte tenu des délais légaux, la campagne a dû se dérouler pendant les vacances d’été, de même que la négociation du protocole de vote. C’est une abomination. En outre, la CFDT a mené une campagne épouvantable contre l’accord. Il y a 20 pages de remarques sur le procès-verbal du référendum.
Comment expliquez-vous une telle opposition ?
La CFDT pense que les objectifs fixés dans l’accord pour déclencher le versement de l’intéressement sont inatteignables et que les syndicats seront en meilleure position pour négocier l’accord l’année prochaine. Toutefois, si les objectifs sont atteints cette année, cela fait gagner de l’argent aux salariés. Et rien ne dit que les objectifs négociés pour l’année prochaine seront plus faciles à atteindre. Tel est notre raisonnement.
La radicalisation de la CFDT d’Orange est un phénomène nouveau qui s’explique sans doute par le départ de plusieurs de ses cadres. La position de la CGT qui ne veut pas d’intéressement mais du salaire est classique, parfaitement compréhensible, et ne nous a pas surpris.
Pourquoi la CFE-CGC a-t-elle signé cet accord ?
Cet accord permet aux salariés d’Enovacom, société rachetée par Orange, de disposer d’un accord d’intéressement alors qu’ils n’en avaient pas. Surtout, nous pensons que les objectifs fixés par l’accord qui ont été négociés sont réalisables. D’autre part, nous avons signé l’accord aussi tard que la loi le permet afin d’avoir une idée de la trajectoire de performance des entreprises d’ici à la fin de l’année et ainsi de réduire les incertitudes. La loi oblige en effet à signer avant le 30 juin pour préserver une incertitude. Sans alea, l’intéressement n’est plus considéré comme tel et soumis à cotisations. Cette signature tardive est d’ailleurs la contre-réponse syndicale à une dérive de l’intéressement. Donc au 30 juin 2021, nous considérions que les objectifs pour 2021 étaient atteignables. Ces objectifs sont fixés par entreprise. Ils sont raisonnables pour Orange cyberdefense et pour Enovacom, qui intervient dans le domaine porteur de la santé. Ces deux sociétés se portent très bien. Les objectifs assignés à Orange business services SA sont moins pondérés car cette entreprise est une grosse machine dont la capacité de progression est moindre. S’il s’avère que les objectifs ne sont pas accessibles, nous les renégocierons l’année prochaine.
Si l’intéressement est versé, cela représentera un complément de rémunération important compte tenu du fait que l’intéressement est défiscalisé et désocialisé. C’est en outre un argument pour attirer des salariés dans des entreprises qui évoluent dans un marché de l’emploi concurrentiel.
Pourquoi dites-vous que l’intéressement subit une dérive ?
Parce que le principe de l’intéressement et de la participation est d’organiser le partage de la valeur entre salariés et actionnaires. Or, de plus en plus, les accords d’intéressement d’Orange deviennent des outils d’incentive visant à augmenter les performances des salariés. Et lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous et que l’intéressement n’est pas versé, cela revient à faire supporter aux collaborateurs les mauvais résultats de l’entreprise. D’où la contre-réponse que constitue la signature tardive des accords d’intéressement. Enfin, ces accords deviennent illisibles pour les salariés et difficilement contrôlables par leurs élus car ils s’appuient sur des indicateurs comptables complexes.
D’une manière générale, comment jugez-vous la procédure de validation d’un accord par référendum ?
À ma connaissance, c’est la première fois qu’Orange y recourt. Nous explorons des champs nouveaux. Par exemple, si un syndicat contestait le résultat du référendum -ce qui n’est pas impossible compte tenu des remarques de la CFDT sur son déroulement- serions-nous dans un contentieux d’élection professionnelle relevant du Code du travail ou dans un autre type d’élection relevant d’une autre règlementation ? Les procédures ne sont pas les mêmes. Sur le fond, je pense que le référendum de validation d’un accord est intéressant car il fait appel à la responsabilité des organisations syndicales. Bien sûr, il court-circuite les syndicats majoritaires, mais en faisant en quelque sorte appel au vote populaire.