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Le licenciement est une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur à l’inverse de la démission pour un salarié. Le licenciement pour faute fait toujours l’objet d’interrogations et de nombreuses divergences entre salariés et employeurs. Tâchons d’y voir clair. Par Ronan Darchen (Alinéa)
L’employeur ne peut décider de mettre un terme au contrat de travail qui le lie à un salarié sans raison réelle et sérieuse sous peine de s’exposer à un procès aux prud’hommes.
Une séparation sous surveillance
C’est un acte appartenant exclusivement à l’employeur, partie forte dans la relation de travail ; raison pour laquelle il fait l’objet d’une attention très particulière de la part du législateur et de la jurisprudence. Faute, motif économique, inaptitude, les causes de licenciement sont multiples. Le licenciement révèle de nombreuses facettes. Il n’existe pas une simple et unique procédure mais des procédures aussi différentes les unes que les autres selon la nature du licenciement. Si la loi apporte les clés juridiques très spécifiques pour pouvoir déterminer un licenciement économique ou encore un licenciement pour inaptitude, il n’en est pas de même pour le licenciement pour faute qui fait toujours l’objet d’interrogations et de nombreuses divergences entre salariés et employeurs.
Il est vrai que la loi, pas plus que les autres sources du droit, ne nous livrent que très peu d’informations à propos de ce qu’il y a lieu de mettre derrière le vocable de « faute ». L’article L.1331-1 du Code du travail aborde la question de la « faute » par le biais d’une formulation aux consonances assez floues. Il laisse entendre que doit être considéré comme une faute « tout agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif ». Sa lecture ne peut que laisser songeur, tant la définition, ici posée, manque de précisions tout en donnant un pouvoir léonin d’appréciation à l’employeur. À défaut de disposition légale définissant expressément la notion de faute, il faut considérer, de manière générale, qu’une faute est une violation par le salarié de ses obligations professionnelles visant tant les obligations contractuelles que celles prévues par la convention collective ou le règlement intérieur.
Et pourtant la faute est une notion essentielle du droit disciplinaire puisque la caractérisation d’une faute permet à l’employeur de sanctionner un salarié.
Quelles fautes justifient un licenciement ?
Les fautes d’un salarié peuvent être de différents degrés. Mais se valent-elles toutes ? La distinction à opérer entre ces degrés est d’autant plus importante que le choix de la sanction en dépendra ainsi que le traitement social de la rupture. De la moins grave à la plus conséquente, il existe quatre grandes catégories constatées : la faute légère, la faute sérieuse, la faute grave et la faute lourde.
Ainsi, la faute légère ne justifie pas un licenciement mais, en revanche, elle peut entraîner une sanction disciplinaire, comme un avertissement ou un blâme. Oublier de pointer et arriver en retard occasionnellement sont des exemples de faits pouvant être qualifiés de fautes légères. Attention, des fautes légères déjà sanctionnées et qui, malgré tout, se répètent peuvent générer des sanctions plus lourdes.
Plus importante, une faute simple ou sérieuse rend le licenciement possible. La loi du 13 juillet 1973, complétée par la loi du 2 août 1989, a posé les règles en la matière : le licenciement n’est licite que s’il est justifié par une « cause réelle et sérieuse » (article L 1232-1 du Code de travail). Ici encore, la notion de « cause réelle et sérieuse » n’est pas définie par le législateur. Il faut donc un motif réel de licenciement, c’est-à-dire que ce dernier doit reposer sur des faits réels et vérifiables. L’employeur doit donc se référer à des faits précis. Concernant le caractère sérieux, il faut entendre par là que les motifs invoqués doivent être suffisamment importants pour rendre le maintien du salarié dans l’entreprise impossible. En réalité, ce cas est assez peu fréquent en tant que cause de licenciement, les employeurs préférant la faire suivre d’une sanction disciplinaire plus conséquente qu’un blâme, en raison de la lourdeur de la procédure de licenciement. C’est plutôt l’accumulation de quelques fautes sérieuses qui engendreront le licenciement pour faute. C’est l’exemple de retards permanents, d’une altercation exceptionnelle avec un autre salarié, d’un manquement involontaire aux mesures de sécurité ou d’absences injustifiées.
Quant à la « faute grave », elle autorise une rupture immédiate du contrat. La jurisprudence la définit comme « la faute qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits personnellement imputables au salarié constituant une violation des obligations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ». Sa principale caractéristique est que sa gravité est telle que l’employeur estime qu’il est obligé de se séparer immédiatement du salarié (sans préavis donc) pour ne pas entraver la bonne marche de l’entreprise. En pratique, la faute grave est souvent admise dans des situations comme un état d’ivresse pendant les heures de travail, des absences injustifiées ou un abandon de poste, l’indiscipline ou insubordination du salarié qui refuse d’effectuer une tâche de travail prévue dans le contrat. C’est aussi le cas confronté aux harcèlement, violences ou injures envers l’employeur ou d’autres salariés, des vols dans l’entreprise…
La loi définit enfin une faute lourde quand s’ajoute à la gravité une intention de nuire. La faute lourde est la plus importante retenue pour un licenciement et doit réunir deux éléments indispensables pour être constituée. Il doit s’agir de faits d’une exceptionnelle gravité comme des manquements à l’obligation de loyauté, des agissements moralement et/ou pénalement répréhensibles. Elle doit être commise avec l’intention de nuire à l’employeur. Il ne suffit donc pas que les faits soient intentionnels, il faut qu’il y ait une réelle intention de nuire. On pense par exemple à la divulgation de données personnelles de l’entreprise, au détournement de fonds ou de clientèle, faux et usage de faux, au sabotage.
Faute simple, grave ou lourde : quelles différences ?
Les conséquences du licenciement varient en fonction de la qualification retenue par l’employeur. En cas de litige, c’est au juge de déterminer si le salarié a commis une faute et s’il s’agit d’une faute simple, grave ou lourde. Le juge peut parfaitement requalifier un licenciement pour « faute grave » en « licenciement pour cause réelle et sérieuse ». Le licenciement pour faute, quelle qu’en soit la gravité, ne remet pas en cause le droit du salarié de bénéficier des allocations chômage.
Dans le cas d’une faute simple, le salarié licencié perçoit à la fois l’indemnité légale de licenciement (ou l’indemnité conventionnelle de licenciement si elle est plus favorable), et son contrat n’est rompu qu’à l’issue du préavis. Il a droit à une indemnité compensatrice de préavis si son employeur décide de ne pas le lui faire effectuer. Il aura également une indemnité compensatrice de congés payés s’il n’a pas pris tous les congés auxquels il avait droit à la date de rupture du contrat.
Quant aux fautes graves et lourdes, ces dernières pèsent sur l’indemnisation. Elles privent l’employé congédié de ses indemnités de licenciement et compensatrices de préavis puisqu’il doit partir sans délai. Il ne conserve donc que son indemnité de congés payés correspondant au nombre de jours acquis et qu’il n’a pas pris. En revanche si le juge prud’homal saisi d’un litige requalifie un licenciement pour « faute grave » en « licenciement pour cause réelle et sérieuse », l’employeur sera condamné à verser l’indemnité de licenciement et une indemnité correspondant au préavis dont le salarié a été privé.
Les réflexes à adopter pour contester son licenciement
Rappelons-le une ultime fois : la faute est « l’agissement du salarié considéré comme fautif » par l’employeur. C’est donc bien à lui qu’il appartient de qualifier les faits fautifs. À la lecture de cet article L 1331-1 du Code du travail, on ne peut s’empêcher de constater une impression de « puissance » de l’employeur, car la loi lui octroie la prérogative de l’appréciation et à la qualification des faits fautifs.
Et pourtant dès son origine, le droit du travail s’est inscrit dans la logique de protection des travailleurs contre les pouvoirs de l’employeur. L’article L 1331-1 du Code du travail doit être mis en perspective avec les articles L 1332- 2 et L 1333-1 de ce même code, qui garantissent aux salariés un droit à la défense aussi bien dans l’entreprise que hors de l’entreprise. Le premier de ces articles nous dit que « lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction » à l’encontre d’un salarié, il doit le « convoquer » à un entretien préalable et que « lors de son audition », celui-ci a toujours la faculté de « se faire assister par une personne de son choix appartenant à l’entreprise ». Le second article nous dit qu’« en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction ». Le salarié dispose donc de plusieurs outils juridiques pour pouvoir se défendre, il doit pouvoir adopter les bons réflexes lorsqu’il souhaite contester un licenciement dont il fait l’objet.
Être accompagné à l’entretien préalable : à quoi ça sert ?
Quand la lettre recommandée arrive, le salarié dispose en général de cinq jours, avant le rendez-vous, pour prendre une décision importante. Il peut se faire accompagner à l’entretien de licenciement par un représentant du personnel, voire n’importe quel salarié de l’entreprise. S’il n’y a pas de représentation du personnel dans l’entreprise, il peut aussi contacter un conseiller du salarié extérieur à l’entreprise et bénévole. L’assistant accompagnera le salarié à l’entretien et s’assurera d’abord que le salarié peut librement s’exprimer sur les faits qui lui sont reprochés. Il est autant un témoin qu’un soutien moral important car bien souvent le salarié n’est pas habitué aux entretiens préalables et peut être fragilisé ou impressionné.
L’assistant entend avec le salarié les griefs formulés par l’employeur et peut éventuellement intervenir pour obtenir des précisions si l’exposé de l’employeur est imprécis ou peu clair. Il pourra rédiger un compte-rendu de l’entrevue qui pourra servir plus tard. Se faire assister est donc l’un des premiers réflexes à avoir dès lors de la réception de la lettre de convocation à l’entretien préalable et l’une des premières armes de protection dont dispose le salarié. Quand il est possible, un échange avec l’assistant choisi en amont de l’entretien est une bonne chose pour se caler et essayer de se préparer.
Solliciter une assistance juridique
Lorsqu’on se retrouve dans une situation de conflit avec l’employeur, il est évident qu’il sera nécessaire de consulter un spécialiste en droit du travail afin de recueillir des avis et des recommandations. C’est pourtant une procédure redoutée par la plupart des salariés allant même jusqu’à les faire abandonner l’idée d’une éventuelle contestation. « Consulter un avocat coute cher », disent-ils car souvent ils ignorent que d’autres moyens existent afin d’avoir un avis éclairé et des conseils avisés.
Les élus du CSE qui ont souscrit à une assistance juridique pourront aussi mieux guider les salariés sur la procédure à suivre. Par ailleurs, beaucoup de particuliers et donc les salariés disposent, sans le savoir, d’une assistance juridique avec leur carte bancaire ou leur assurance habitation. Après avoir recueilli les premières recommandations, il est évident que si la problématique ne tend pas vers la résolution du conflit avec l’employeur, il faudra consulter un avocat pour un avis éclairé sur ses chances de l’emporter devant un Conseil de prud’hommes, à partir de la lettre de licenciement et les preuves que le salarié pourra lui apporter. Il le renseignera également sur les étapes de la procédure.
Réunir les preuves dans les plus brefs délais
Lorsqu’un salarié a été licencié et qu’il entreprend une action devant le Conseil de Prud’hommes afin de contester le bien-fondé de son licenciement, il importe qu’il ait à l’esprit qu’il doit disposer de pièces démontrant que les allégations contenues dans la lettre de licenciement sont inexactes. En effet, la charge de la preuve repose sur lui, car seule réside une exception en matière de licenciement pour faute grave. Dans cette hypothèse, c’est à l’employeur, et non au salarié, qu’il incombe de prouver la faute grave.
Dès que le licenciement semble imminent, il est conseillé au salarié de collecter un maximum d’indices, de preuves notamment des échanges de mails qu’il ne pourra pas récupérer ensuite. Il peut être utile de demander à des collègues ou anciens collèges de rédiger des attestations en sa faveur même jusqu’à l’entretien préalable, alors que les griefs de l’employeur ne sont pas encore connus. Il faut retenir concernant le rassemblement des preuves, qu’il s’agira essentiellement d’une « course contre la montre » pour le salarié. En effet, il sera probablement plus facile à un employeur d’obtenir une attestation auprès de salariés de l’entreprise qui sont toujours en poste, et qui n’oseraient opposer de résistance à telle une demande. Autant la tâche s’avèrera beaucoup plus délicate pour le salarié licencié qui a quitté l’entreprise. Cette étape est essentielle pour ne pas dire indispensable car le Conseil de prud’hommes statuera au vu des preuves concrètes en sa possession. Mais les preuves ne se limitent pas à des témoignages de collègues.
Saisir rapidement le Conseil de prud’hommes
Si le licenciement vaut la peine d’être contesté, il faut immédiatement saisir le Conseil de prud’hommes. Indépendamment de la question des délais de prescription de l’action, attendre plusieurs mois rendra votre action moins crédible aux yeux des juges. De plus, les délais de procédure étant très longs, mieux vaut ne pas décaler leur point de départ en tardant à le saisir. Il est conseillé au salarié de se faire accompagner par un avocat même si le recours à un avocat n’est pas obligatoire en matière prud’homale, mais il n’y a guère doute que celui-ci augmentera considérablement ses chances de succès. Il n’est pas inutile, dans le même temps, de rester ouvert à une issue amiable.
Parallèlement à la saisine du Conseil de prud’hommes, il convient en effet de ne pas écarter les négociations avec l’employeur. Une procédure prud’homale est longue et aléatoire donc il ne faut pas ignorer les modes de règlements amiables des conflits entre le salarié et l’employeur qui existent : la médiation conventionnelle, la procédure participative ou encore la transaction. Ces modes de règlement permettent au salarié et à l’employeur de trouver une solution à leur litige sans passer par une procédure contentieuse (prud’hommes, cour d’appel) et aussi de « passer à autre chose ». Certes, il est des situations (surtout en matière de licenciement disciplinaire) où le contexte de la rupture (sentiment ou vraie humiliation, violence, mauvaise foi…) empêche dans un premier temps tout dialogue mais parfois l’introduction d’une action prud’homale ainsi que le temps long de la procédure fait son œuvre. Il est possible de transiger pour mettre fin au litige tout au long de la procédure plutôt que d’attendre d’être soumis à une décision judiciaire. Il est également possible de transiger jusqu’au dernier moment. Là aussi, l’avocat est un interlocuteur essentiel pour apprécier la transaction proposée car il ne s’agit pas non plus de négocier à n’importe quel prix.