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Depuis le 1er février, les règles de l’assurance chômage ont changé en application de la loi « marché du travail » adoptée le 21 décembre 2022. Le texte s’appuie sur un objectif gouvernemental de « plein emploi » pour opérer un nouveau durcissement des règles d’indemnisation mais la loi « Marché du travail », ce n’est pas que cela… Par Ronan Darchen, cabinet Alinea.
Historiquement, ce sont les partenaires sociaux, organisations d’employeurs et organisations syndicales de salariés, qui, au sein de l’Unedic, négocient les règles d’indemnisation, les taux de cotisation et les aides favorisant le retour à l’emploi. En veillant au versement des allocations et au prélèvement des cotisations, l’Unedic pilote le régime d’assurance-chômage. Périodiquement, la négociation entre les syndicats de salariés et d’employeurs conduit à aménager les règles pour les demandeurs d’emploi sur les années suivantes. Une fois que l’exécutif a agréé cette nouvelle convention, elle s’applique.
Nouveau coup de canif porté au paritarisme
Toutefois, depuis longtemps déjà, l’État s’est imposé pour prendre de plus en plus de place. Aujourd’hui, force est de constater qu’il est quasiment devenu seul décideur. Pour l’assurance-chômage, comme dans d’autres domaines, le paritarisme a du plomb dans l’aile et la main-mise du gouvernement n’est pas d’une grande exemplarité démocratique. La dernière réforme de l’assurance-chômage en est une illustration. Non seulement la loi nouvelle a été adoptée en procédure accélérée, mais encore elle permet au gouvernement d’apporter seul des modifications par décret même s’il indique ne le faire qu’en 2023 le temps d’une nouvelle négociation.
Avec la loi portant sur le marché du travail, le gouvernement s’autorise en effet à modifier les règles en profondeur, conforté par les sondages d’opinion qui opposent les actifs aux bénéficiaires du régime de solidarité chômage et par le battage médiatique autour des emplois non pourvus, faute de candidats. La réforme de 2019 avait déjà durci les conditions des allocataires. Visiblement, l’exécutif voulait aller plus loin : modulation de la durée d’indemnisation, contrôles renforcés, suspension des allocations, obligations d’accepter une offre d’emploi. Comme si les chômeurs n’étaient pas aussi demandeurs d’emploi que cela mais également sans poser le sujet de la qualité des emplois à pourvoir et des conditions de travail…
L’objectif affiché du plein emploi est en effet un moyen de réaliser de nouvelles économies sur notre régime de solidarité ; prétendre favoriser une meilleure fluidité du marché du travail en n’avançant que sanctions et restrictions est osé mais jusqu’ici tout passe. D’ailleurs, la réforme a été validée par le Conseil constitutionnel. Ayant rejeté les recours qui avaient été formés (notamment celui considérant que la possibilité donnée au gouvernement de décider par décret des règles d’assurance chômage, sans restriction, et en contournant les partenaires sociaux), le Conseil constitutionnel remet en cause le droit des travailleurs à participer à la détermination collective de leurs conditions de travail. Il en sera donc ainsi en 2023 ; espérons que les partenaires sociaux arrivent à conclure cette année une nouvelle convention qui les repositionne au cœur de la définition des droits des travailleurs privés d’emploi.
Quand l’économique prime sur le social
La réforme met en musique le leitmotiv d’un gouvernement qui raisonne à partir des besoins des entreprises avant de considérer les attentes et contraintes des salariés. Nous avons eu le spectacle il y a quelques mois d’un président qui s’offusquait que des salariés au SMIC licenciés en raison d’une délocalisation refusent de faire des centaines de kilomètres pour prendre des emplois disponibles dans une région voisine. La mobilité géographique n’est pas toujours souhaitée mais n’est pas non plus accessible à toutes les bourses.
Désormais les durées d’indemnisation du chômage varieront en fonction de la conjoncture économique. Ne vous faites pas d’illusion, il ne s’agit pas d’allonger les durées d’indemnisation en cas de crise économique mais uniquement de les réduire quand la conjoncture amène les entreprises à avoir besoin d’embaucher. Nous pourrions nous attendre à ce que les offres d’emploi s’améliorent dans ces moments, qu’une attention particulière soit portée aux salaires et conditions de travail. Reconnaissons que certaines entreprises ont compris cet enjeu d’attractivité. Pour autant, le gouvernement a surtout en ligne de mire l’objectif d’afficher une victoire face au chômage, peu important la qualité de l’emploi proposé. Un « coûte que coûte » pour un emploi « à tout prix » en quelque sorte. Ajoutons que cette injonction est peu en phase avec les aspirations des jeunes générations. Il n’est pas certain non plus qu’il faille se réjouir de l’explosion du travail précaire ou du travail indépendant et de la faible protection sociale des micro-entrepreneurs, gros contributeurs à la baisse du taux de chômage dont se glorifie le même gouvernement.
Réduction de la durée d’allocation chômage
La durée de versement des allocations chômage avait été revue à baisse pour les plus de 50 ans depuis la réforme de 2019. Un pas de plus est donc franchi aujourd’hui. Tous les demandeurs d’emploi dont la rupture du contrat de travail intervient à compter du 1er février 2023 vont connaître une réduction de 25 % de leur durée d’indemnisation s’ils ne retrouvent pas un emploi rapidement. Pourquoi ? Pour réaliser des économies bien sûr mais aussi d’une certaine façon faire culpabiliser des demandeurs d’emploi qui n’acceptent pas des postes alors que des métiers sont en tension, des offres non pourvues et que les entreprises ont des besoins urgents de main-d’œuvre. Eux qui pensaient, après avoir perdu involontairement leur emploi (on oublie sans doute trop souvent de le dire s’agissant des CDI), prendre le temps d’élaborer un projet professionnel avec leur conseiller du Pôle emploi ou mettre à profit une transition post-licenciement pour envisager une reconversion ont intérêt à se hâter. Quant aux plus âgés qui voyaient poindre le temps convoité de la retraite, la chandelle brûle par les deux bouts : l’âge de départ à la retraite s’éloigne et la durée des droits à l’assurance-chômage diminue, remontez vite sur le pont ! Bon à savoir, pour les salariés victimes d’un plan de sauvegarde de l’emploi, c’est la date de convocation à la première réunion du CSE qui est retenue : quelques-uns échapperont donc encore au nouveau couperet.
La période d’indemnisation des allocataires de l’assurance chômage est donc rabotée de 25 % quand le nombre d’inscrits est inférieur à 9 %. Actuellement il est de 7,3 %. Ce qui signifie que la réduction sera appliquée de manière certaine en 2023. Est-il utile de rappeler que de nombreuses personnes sans emploi ne s’inscrivent pas, notamment car elles ne seraient pas indemnisées, ainsi que le transfert statistique des demandeurs de la catégorie A vers une autre catégorie pour confirmer que ce taux officiel est inférieur à la réalité ?
Avec la réforme, des périodes vertes et des périodes rouges sont définies : nous serons dans le vert quand le taux de chômage sera inférieur à 9 % et ne connaîtra pas de hausse de plus de 0,8 point sur un trimestre. Nous serons dans le rouge si le taux de chômage est supérieur à 9 % ou connaît une hausse de 0,8 point sur un trimestre. Ainsi, même si le taux de chômage est inférieur à 9 %, il est possible de basculer en rouge. La réduction de 25 % se traduit par un coefficient réducteur de 0,75 sur la durée d’indemnisation appliqué lorsque la situation du marché du travail sera verte. Le décret d’application est paru au journal officiel le 26 janvier 2023.
La chasse aux refus de CDI
Autre modification importante, la réforme décide de priver d’accès aux allocations les salariés en intérim ou en CDD qui refusent la conversion de leur contrat en CDI. Un nouvel article L1243-11-1 rejoint le Code du travail : « Lorsque l’employeur propose que la relation contractuelle de travail se poursuive après l’échéance du terme du contrat à durée déterminée sous la forme d’un contrat à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente pour une durée de travail équivalente, relevant de la même classification et sans changement du lieu de travail, il notifie cette proposition par écrit au salarié. En cas de refus du salarié, l’employeur en informe Pôle emploi en justifiant du caractère similaire de l’emploi proposé. »
Ce texte inverse la logique qui oblige l’employeur à proposer l’emploi consolidé en CDI prioritairement au salarié en CDD qui l’occupe pour faire peser une contrainte injustifiée sur le salarié alors que ce dernier aura rempli sa mission. Même le ministre du Travail s’en est ému mais en vain ! On lit aussi que l’employeur doit en quelque sorte dénoncer le mauvais employé qui s’inscrirait volontairement à Pôle emploi alors qu’un poste lui est offert. Peu importe que cet emploi ne réponde pas aux aspirations et projet de l’individu, le besoin de l’entreprise passe avant. Plus largement, le demandeur d’emploi devrait accepter ce qu’on lui propose et en faire son bonheur puisque si Pôle emploi constate qu’il a refusé à deux reprises une proposition sérieuse de contrat de travail à durée indéterminée, l’allocation pourra lui être refusée. On entend par proposition sérieuse, un emploi répondant aux critères du projet personnalisé (PPAE) défini avec le conseiller de Pôle emploi.
Démission présumée !
Alors que la jurisprudence exige qu’une démission soit claire et non équivoque, un nouvel article du Code du travail, encore un, s’attaque aux abandons de poste, répondant ainsi favorablement à une demande du Medef même si des entreprises en avaient fait un prétexte pour organiser des licenciements, généralement assortis de transactions. Le nouvel article L1237-1-1 est rédigé ainsi : « le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai ».
Autant dire que des contentieux se profilent. Concrètement, si le salarié abandonne son poste sans démissionner clairement, l’employeur constatant son absence devra le mettre en demeure de justifier cette absence ou de reprendre son poste. Un décret précisera le délai dont il dispose pour adresser le courrier recommandé au salarié (tant que ce décret n’est pas sorti, la disposition n’est pas encore applicable donc). Le défaut de réponse du salarié vaudra alors présomption de démission, libérant l’employeur qui n’aura pas de procédure de licenciement à engager et privant le salarié d’allocations chômage. Le salarié pourra contester la réalité de sa démission devant le Conseil de prud’hommes s’il entend obtenir une requalification par les juges en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le recours au CDD encore assoupli
Autre mesure liée à la recherche du plein emploi, la loi sur le marché du travail rend encore plus souple le recours au CDD même si ce n’est qu’à titre « expérimental » en autorisant pour les secteurs d’activité considérés en tension (un décret les listera) la conclusion d’un seul contrat à durée déterminée ou d’un seul contrat de mission pour remplacer plusieurs salariés. Angélique, la loi précise que l’expérimentation ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Les CSE suivront attentivement les données mensuelles sur l’emploi dans leurs entreprises pour vérifier l’application à la lettre ce texte… et les contrôleurs du travail le feront-ils dans les TPE ? L’expérience est permise pour deux années.
La loi sur le marché du travail veut promouvoir la VAE
Plus intéressant, le recours à la validation des acquis de l’expérience (VAE) est élargi pour permettre aux proches aidants et aidants familiaux de faire valoir leurs compétences dans la prise en charge de la dépendance. Des reconversions vers un secteur aux besoins croissants sont ainsi encouragées. Un minimum d’un an au soutien d’une personne, formation comprise, sera requis pour retenir la période au titre de la VAE. Plus largement, le financement des VAE de toute nature par les associations Transition Pro (ATPro) sera possible dans le cadre des projets de transition professionnelle. Une campagne d’information sera nécessaire pour que ce dispositif soit effectivement sollicité.
Une mise à jour pour les élections du CSE
Mise à jour car la jurisprudence de longue date ne permettait pas à certains cadres de participer à l’élection du CSE : quand leur délégation de pouvoir les assimile à l’employeur pour la gestion du personnel, les juges considéraient que c’était incompatible. Le SNEC (syndicat CFE-CGC de Carrefour) à l’occasion d’un contentieux électoral avait formulé une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) pour remettre en cause cette position. Le Conseil Constitutionnel lui a donné raison. La CFE-CGC considérait anormal qu’un salarié, même avec une délégation de pouvoir, ne puisse pas participer au scrutin du CSE dans son entreprise. En effet, le préambule de notre Constitution énonce que tout travailleur participe par l’intermédiaire de ses délégués à la détermination de ses conditions de travail et le cadre qui a un contrat de travail est aussi un travailleur. Le Conseil Constitutionnel a ainsi invalidé la rédaction de l’article L.2314-18 du Code du travail qui définit l’électorat et donné un délai au législateur pour le mettre en conformité tout en sécurisant les protocole préélectoraux (PAP) signés avant le 1er novembre 2022. Attention aussi, ne confondons pas électeur et éligible : les cadres dont la fonction et la délégation les assimilent à la direction restent inéligibles. Le nouvel article le dit clairement. La loi sur le marché du travail met ainsi à jour les articles L2314-18 et L 2314-19 du Code du travail. Tenez en compte pour vos prochaines élections CSE !