Juridique

LOI URGENCE CORONAVIRUS : un assouplissement des CDD mais quid de la mixité sociale ?

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La loi du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire apporte de nouveaux assouplissements au régime juridique des contrats à durée déterminée (CDD). Ces modifications, destinées à faire face aux conséquences de la crise sanitaire, interrogent : ne s’agit-il pas d’un coup porté à des salariés fragilisés et, par là même, à la mixité sociale ? Coup de projecteur. Par Valérie Pontif.

Mixité sociale et CDD : le rapprochement interpelle. D’un côté, la mixité sociale est une notion largement présente dans le discours politique (éducation, politique de la ville…) et souvent définie par son effet : produire de la justice sociale[1]. Sur le marché du travail, la mixité sociale peut être définie comme la « coexistence » de travailleurs de genre, d’origine, de qualification ou de milieu social différents. Il est par exemple fréquemment question de mixité des métiers. D’un autre côté, la part de CDD dans l’emploi salarié a fortement augmenté depuis le début des années 80 en raison de différents éléments (élargissement des possibilités de recourir au CDD, besoins temporaires de main-d’œuvre, incertitudes économiques…). Au cours des 20 dernières années, la proportion de CDD très courts a littéralement explosé. Ainsi, en 2017, la part de ceux de moins d’un mois est passée de 57 % en 2001 à 83 % en 2017 et la part des contrats d’une seule journée a fait un bond de 8 à 30 % sur la même période[2]. Des interrogations se profilent : peut-on observer une réelle mixité sociale parmi les titulaires de CDD aujourd’hui ou bien constate-t-on que certaines catégories de travailleurs sont surreprésentées et peinent à en sortir ? Les réformes successives du régime des CDD favorisent-elles cette mixité sociale ?

Des « profils » de salariés en CDD

Le constat est sans appel : 8 salariés sur 10 sont aujourd’hui embauchés en CDD[3]. Le CDD est surreprésenté dans certains secteurs d’activités (hébergement médico-social, activités pour la santé, services administratifs[4]…). La qualification des salariés entre aussi en ligne de compte. Ainsi, près de 4 jeunes travailleurs sur 10 non diplômés sont en emploi précaire 5 ans après leur entrée dans la vie active, vs 12 % des diplômés du supérieur[5]. Derrière ces chiffres, se cachent toutefois des inégalités selon le type de diplôme obtenu et les filières suivies. En effet, depuis plusieurs décennies, nombre de travailleurs entrant sur le marché du travail, y compris parfois très diplômés, sont davantage confrontés à des emplois précaires. Le niveau de qualification influe cependant sur le laps de temps durant lequel un salarié reste en CDD. Ainsi, la précarité tend à davantage s’installer pour les salariés moins qualifiés, cumulant des CDD et en proie à des difficultés pour décrocher un CDI, avec les conséquences bien connues pour leur vie personnelle (difficultés à louer un logement, à contracter un emprunt…). Concernant maintenant le genre, notons que 3 CDD sur 5 sont occupés par des femmes. En outre, cette précarité quant à la durée du contrat de travail, se cumule souvent avec d’autres aspects (temps partiel, métiers à prédominance féminine souvent moins rémunérés…). Enfin, d’une manière générale, les travailleurs employés en CDD qui, ont certes un statut juridique aligné sur celui des salariés en CDI, perçoivent en moyenne une rémunération plus faible que les salariés en CDI, de l’ordre de 14,4 % (rémunération horaire brute chiffres DARES, 2014). Ceci s’explique notamment par les primes, l’épargne salariale (souvent conditionnées à une ancienneté dont ne disposent pas les salariés en CDD). Enfin, certains salariés en CDD rencontrent toujours des difficultés pour bénéficier de certains avantages (chèques-vacances, accès à la formation). La mixité sociale ne semble donc pas une réalité pour les salariés en CDD. Certaines catégories de travailleurs y sont largement surreprésentés. Dans bien des cas, le CDD « enferme » et ne joue pas son rôle de tremplin vers un emploi stable.  

Un cadre juridique assoupli

Depuis 40 ans, la législation relative aux CDD a été largement réformée : nouveaux cas de recours, baisse des cas où l’indemnité de fin de CDD est versée, place croissante accordée aux partenaires sociaux pour organiser le régime juridique des CDD. Avec la loi précitée du 17 juin 2020, le législateur permet à un accord d’entreprise (conclu jusqu’au 31 décembre 2020) de fixer le nombre maximal de renouvellements de CDD, ainsi que le délai de carence, pendant lequel il ne peut être conclu un nouveau CDD avec un salarié. Même temporaire, ce choix interpelle à plusieurs titres. En effet, depuis les ordonnances « travail » de septembre 2017, seul un accord de branche étendu peut contenir des dispositions sur ces questions (à défaut d’accord de branche, les dispositions supplétives du Code du travail s’appliquent). Ce thème fait d’ailleurs partie du dénommé « bloc 1 », dans lequel l’accord de branche prévaut sur l’accord d’entreprise. Sauf si celui-ci contient des dispositions au moins équivalentes. Avec la loi du 17 juin 2020, les dispositions d’un accord d’entreprise s’appliqueront en matière de CDD, quand bien même un accord de branche étendu prévoirait des dispositions plus favorables. Outre le fait que la force obligatoire de l’accord de branche conclu est affaiblie, cela prive les salariés des garanties de la branche et ouvre la porte à un risque de dérives (ex : nombre élevé de CDD pouvant être renouvelés, délai de carence très courts…) dont les premiers perdants seront précisément… les salariés précaires ! L’avenir dira si les partenaires sociaux concluront des accords sur ces points. Mais peut-être faudrait-il, à titre conclusif, rappeler que les CDD n’ont pas pour objet ou pour effet de pourvoir durablement aux emplois liés à l’activité normale et permanente des entreprises…


[1] « Les enjeux de la mixité sociale en France, fiches repères INJEP.

[2] « CDD, CDI : comment évoluent les embauches et les ruptures depuis 25 ans? », DARES Analyses, n° 026, juin 2018.

[3] A. DUFOUR, « Pour les jeunes, le CDD est un tremplin vers l’emploi, La Croix, 2 juillet 2019.

[4] « CDD, CDI : comment évoluent les embauches et les ruptures depuis 25 ans? », art. préc.

[5] Cf. Observatoire des inégalités.

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