À l’été 2020, la crise sanitaire a bien failli donner le coup de grâce aux 1 700 salariés de Derichebourg Aeronautics Services. Pour procéder au sauvetage des emplois, il aura fallu bien des efforts à Jean-Marc Moreau, secrétaire adjoint du CSE et secrétaire général de FO Derichebourg Aeronautics Services (FO DAS), syndicat majoritaire de l’entreprise…
Par Aude Aboucaya
Photo : Jean-Marc Moreau, secrétaire adjoint du CSE et secrétaire général de FO Derichebourg Aeronautics Services (FO DAS).
Au terme d’un parcours du combattant pour convaincre salariés et OS réfractaires du bien-fondé de la démarche, FO DAS et la direction ont convenu d’un Accord de performance collective et de maintien de l’emploi pour éviter l’écueil d’un PSE… Un accord qui a vu le jour à l’issue de plusieurs réunions le 28 mai et les 2, 4 et 9 juin.
Covid-19 : le diagnostic
« La filière de l’industrie aéronautique traverse une crise sans précédent, tant au niveau de son intensité que de sa durée. Face à une baisse du trafic aérien de près de 80 %, Boeing et Airbus ont vu leurs ventes s’effondrer et ont dû réduire leur production de plus de 50 % », annonce un communiqué de presse émanant de la direction de Derichebourg Aeronautics Services, sous-traitant majeur à l’échelle européenne d’un secteur frappé par la crise sanitaire.
Au cours des 8 derniers mois, le chiffre d’affaires s’est effondré de 51 % et la charge de travail a diminué de 44 %. Alors que bon nombre d’entreprises du secteur sont contraintes de licencier une grande partie de leurs salariés, Derichebourg Aeronautics Services, a fait le choix de maintenir l’emploi de ses collaborateurs, avec le concours de FO DAA, syndicat majoritaire de l’entreprise (57 %).
De fait, le 6 mai lors d’une réunion « Covid », la direction annonce une modification de l’ordre du jour et un potentiel PSE visant la suppression de 750 emplois. Il fallait immédiatement réagir pour éviter cet écueil aux salariés. « Nous nous sommes d’abord réunis avec la fédération de la métallurgie FO », explique Nathalie Capart, secrétaire fédérale chez FO Métaux.
Rappelons que plusieurs options semblaient se présenter aux partenaires sociaux et aux élus du CSE : « D’abord, la rupture conventionnelle collective qui, en définitive, n’aurait pas été compatible avec une reprise de l’activité et de nouvelles embauches. Quant à ouvrir la porte à un PSE onéreux, cela aurait pu aboutir à un simple dépôt de bilan. Le PSE risquait d’être balayé d’un revers de main par le groupe Derichebourg qui aurait pu directement opter pour le dépôt de bilan avec à la clé cette fois 1 618 salariés et 104 intérimaires au chômage. De fait, le statut de Société par Actions Simplifiée (SAS) de Derichebourg avec actionnaire unique l’autorise à supprimer la branche aéronautique sans se justifier, et ce, même si ses autres filiales sont bénéficiaires », quand on négocie c’est à prendre en considération, souligne Jean-Marc Moreau, secrétaire FO DAS. Il fallait donc trouver l’alternative à une issue aussi radicale, « quitte à opter pour la moins mauvaise des solutions »
À noter que les autres OS n’ont pas vu la situation sous le même angle. Après le CSE extraordinaire du 11 mai, « plusieurs syndicats ont campé sur leur position en choisissant la solution du PSE. J’ai rencontré sur le terrain les manifestants, je me suis efforcé de me faire comprendre mais je n’ai eu aucune écoute », poursuit Jean-Marc Moreau.
« Seul l’emploi sauvera les gens »
FO n’était pas hostile à l’APC mais souhaitait toutefois explorer tous les champs d’actions possibles. L’OS demande le 6 mai une expertise, demande également faite par la CFE-CGC le 11 mai pour établir une projection à l’horizon de septembre 2021. À l’issue de l’expertise, il s’avère que « sur les 750 emplois, 300 étaient encore en sureffectif (avec les fins de CDD et les intérimaires) ». D’où une seconde projection cette fois jusqu’en juin 2022. Là enfin, le « zéro sureffectif » sans licenciement est atteint ! Mais à condition que le chômage partiel soit prolongé de deux ans, jusqu’à la reprise de l’activité. Pour aller dans ce sens même si à l’époque des négociations chez Derichebourg, l’État n’avait pas encore entériné le prolongement de l’indemnité du chômage partiel ni l’APLD, un APC devait être aménagé en Accord de performance collective et de maintien de l’emploi. Le secrétaire général FO DAS a d’ailleurs insisté pour le renommer ainsi lors de sa rédaction puis de sa signature le 12 juin.
La direction y a été favorable mais sous plusieurs conditions. Notamment celle de régler le volet des indemnités de transport et de repas injectées dans les salaires. « Ces indemnités sont considérées illégales par l’Urssaf du Midi-Pyrénées, alors que le même organisme à Paris notamment, accorde une tolérance à nos collègues. Lors du dernier contrôle triannuel, notre entreprise a subi un redressement de 6 M € (4, 5 M€ sur les repas, 1,5 M€ sur les transports). Au vu de la situation, Derichebourg a demandé de régler le problème, indique Jean-Marc Moreau. En 2019, l’intéressement des salariés n’a pas été versé à cause de cela ». L’accord ne prévoyait en aucun cas une baisse de salaire mais de pouvoir d’achat inévitable. Un manque à gagner de 270 €/10 mois soit 225€ mensuel pour les salariés. Pour autant, Jean-Marc Moreau s’est efforcé de le compenser par la distribution dès août 2020 de tickets restaurant à la valeur faciale de 9,25 € (60 % de part employeur) ramenant la perte de cette indemnité à 142,50 €/mensuelle. Car selon lui, « ce qui sauvera les gens, c’est l’emploi. Même s’ils perdent un peu d’argent ».
Le bilan
Grâce à l’accord établi, FO DAS a obtenu qu’aucun licenciement pour raison économique n’intervienne avant juin 2022 et ce, sur les sites principaux de Saint-Nazaire, Marseille et Toulouse. « Marseille n’est pas réellement impacté et a même besoin de personnel. L’accord signé favorise donc la mobilité sur la base du volontariat et avec de conséquents avantages ». En effet, outre la prime de 4 000 € négociée dans l’accord, limitée à une durée de 2 ans à compter de la signature, le salarié demandant la mobilité verra son déménagement pris en charge pour son départ mais également lors de son éventuel retour sur le site d’origine. Allié au dispositif d’Activité Partielle de Longue Durée (APLD) entré en vigueur au 1er novembre 2020, l’accord signé aura permis de sauver les emplois de l’entreprise. « On recense 160 collaborateurs ayant refusé la signature de l’accord. 20 % d’entre eux n’ont pas donné de raison, 85 personnes avaient un autre projet professionnel ou personnel, 39 ont souhaité prendre leur retraite et 4 avaient déjà signé une promesse d’embauche dans une autre société. À noter que des indemnités ont été versées aux plus anciens », concluent Jean-Marc Moreau et Nathalie Capart.
L’intégralité des emplois sera préservée jusqu’en juin 2022, en contrepartie d’une baisse de rémunération mensuelle.