
Lutter contre les addictions au travail en organisant des tests inopinés collectifs (TIC) pour détecter la consommation de cannabis, de psychotropes et d’alcool ? Une initiative que l’entreprise peut certes mener. À condition qu’elle se conforme à des règles précises. Ce qui ne fut hélas pas le cas pour la direction du groupe Veolia. D’ailleurs, au sein de la société Franciliane (ex-Veolia Eau d’Île-de-France, Vedif), ces tests ont totalement été mis à l’arrêt, l’an passé. Et ce, grâce à l’intervention de Séverine Allain, responsable de laboratoire, déléguée syndicale centrale Force ouvrière (FO) et secrétaire du CSE Franciliane. Elle explique ici comment elle a procédé…
Pouvez-vous vous présenter et faire état de vos différents mandats et autres activités ?
Je suis basée en banlieue parisienne au siège de Veolia Eau d’Île-de-France, devenue au 1er janvier 2025 Franciliane. Le groupe Veolia a remporté l’an passé l’appel d’offres visant à prendre en charge la gestion du service d’eau potable pour le compte du Syndicat des Eaux d’Île-de-France (voir notre encadré), et a changé l’ancienne structure juridique désormais appelée Franciliane.
J’ai rejoint l’entreprise en septembre 2002, en qualité de technicienne de laboratoire où j’officiais dans une usine de production, implantée dans le Val-d’Oise. En 2021, la direction m’a nommée responsable de laboratoire, à titre honorifique. J’occupe en parallèle, et ce, depuis 2015, des fonctions de permanente syndicale chez Force ouvrière (FO). Pour ce qui est des débuts de mes mandats, j’ai commencé comme déléguée du personnel en 2010, puis j’ai été élue au comité d’entreprise (CE) de Vedif en 2013. Deux ans plus tard, j’occupais le mandat de trésorière du CE, puis, en 2018, je suis devenue déléguée syndicale centrale FO, un mandat national. Mon UES (unité économique et sociale qui regroupe plusieurs entreprises juridiquement distinctes, NDLR) comprend 13 établissements dont Franciliane. L’ensemble de l’effectif représente environ 12 000 salariés et je m’attelle entre autres aux négociations salariales. J’ai d’ailleurs été nommée au comité groupe France et Europe de Veolia en 2020. J’ai décroché un mandat de secrétaire du CSE Franciliane, lors des élections professionnelles en 2023 ; l’échéance dudit mandat étant fixée en 2027. J’occupe également des mandats interprofessionnels : conseillère aux prud’hommes de Nanterre et défenseur syndical Île-de-France. Les rôles des bureaux de jugement étaient constitués d’environ une dizaine d’affaires toutes les semaines. Mais depuis plusieurs années, le nombre est en baisse. Entre 2020 et 2023, je me suis occupée d’une quarantaine de dossiers au total, en qualité de défenseur.

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Vous avez par ailleurs récemment signé un accord européen diversité & inclusion au niveau groupe chez Veolia. Quelles en furent les grandes étapes ?
En effet, une négociation de dix-huit mois s’est déroulée au niveau européen chez Veolia. C’était la première que je menais en tant que représentante pour FO, au côté des pays concernés. Nous avions une réunion de deux jours pleins tous les trois mois. Nous avons organisé en premier lieu une réunion préparatoire entre syndicats puis avec la direction. Une période très dense durant laquelle nous étions accompagnés par les experts de la Fédération syndicale européenne, EPSU, dont les connaissances nous ont bien servi. Force est de constater que les Espagnols étaient très en avance sur les questions d’inclusion. A contrario, les pays de l’Est, eux, sont très en retard. Il a fallu pas mal débattre pour les convaincre, par exemple, que les femmes étaient parfaitement capables d’exercer le même métier que les hommes, et qu’elles n’étaient pas physiquement plus faibles. Se mettre d’accord entre nous a donc pris du temps. Ensuite, il a fallu dépasser les points de désaccord avec la direction. Notamment au sujet d’un dispositif baptisé Veolia Cares, socle commun de protection sociale, appliqué en 2023 à l’ensemble des 120 000 salariés du groupe. Il comprend notamment le maintien du salaire pendant le congé maternité ou encore la journée de solidarité offerte si le salarié officie ce jour précis au profit d’une association. Le groupe voulait intégrer Veolia Cares dans l’accord alors que ce dispositif n’avait pas été négocié mais décidé unilatéralement par l’employeur. Nous avons refusé cette demande. Veolia a ensuite essayé de l’intégrer dans les annexes ; une tentative qui s’est soldée par un second refus des organisations syndicales. Le sujet est donc simplement évoqué dans le texte. Notre seconde pierre d’achoppement avec la direction fut les chiffres (nombre d’embauches de femmes, par exemple). La direction a décliné cette requête, en raison de la nature européenne de l’accord et de la complexité à communiquer ces données. Nous avons cependant obtenu des KPI factuels pouvant être contrôlés et permettant de jauger si Veolia tend vers une réelle inclusion.
Dans quel cadre sont intervenus les tests inopinés collectifs (TIC) liés aux addictions ?
Initiée par la direction en 2019, la démarche a été amorcée en Méditerranée, avec un test pilote présenté en CHSCT. Un avis favorable a été rendu, car certains de mes collègues sont pour. Puis, ce fut au tour de la Normandie. Ensuite, déployée par le responsable qualité et sécurité, la démarche a été étendue auprès des business units de recyclage, revalorisation et traitement des déchets… Par ailleurs, le 30 novembre 2023, un accident mortel de tiers a été provoqué par un chauffeur poids lourd, sous l’emprise de stupéfiants. Ce qui a renforcé la volonté de la direction d’étendre le processus à toute la France.
À l’heure actuelle, chez Franciliane, les tests qui devaient être mis en place en 2024 ont été stoppés net (voir le courrier envoyé par Séverine Allain le 28 mai 2024 à la directrice opérationnelle prévention santé et sécurité, NDLR). Et heureusement d’ailleurs, car la même année les 1 500 salariés ont vécu le transfert du contrat de travail de Vedif à Franciliane. De ce transfert ont découlé la fermeture de lieux de travail, des déménagements et pas mal de stress pour les collègues. Pour prendre l’exemple d’ileo-Semel-Veolia et d’autres régions, une seconde salve de tests inopinés collectifs (TIC) devrait avoir lieu sous peu…
À noter que les managers avaient tout de même bénéficié d’une formation très sommaire aux addictions. Baptisée Osscar, elle n’aura duré qu’une demi-journée, en juillet 2024. J’ai moi-même suivi ce topo dispensé par une formatrice, ancienne alcoolique. Si la définition des addictions nous a été donnée, si nous avons aussi été sondés sur nos propres addictions et avons eu la possibilité d’effectuer un test sur nous-mêmes, en revanche, rien n’a été spécifié en matière de droit social ou de règlement intérieur. Silence également sur la dangerosité à manier un marteau-piqueur sous l’emprise de cannabis…
Pour quelles raisons la mise en place de ces tests salivaires a-t-elle posé problème ?
Si l’on se réfère à la manière dont les TIC ont été conduits chez iléo-Semel-Veolia, par exemple, une première phase de tests salivaires collectifs a été programmée avec prévenance des salariés pour identifier la consommation d’alcool et de stupéfiants. Premier écueil : ces tests ont été réalisés sur tous les postes (administratifs, nomades…) alors que ce n’est pas ce que prévoit un arrêt rendu par le Conseil d’État (voir le courrier du 28/05/2024). Second écueil : certains managers ont ensuite conduit leurs équipes dans une salle en prenant l’initiative d’annoncer les résultats, devant tout le monde, au mépris de toute confidentialité. En outre, une initiative telle ne doit pas avoir pour finalité la sanction du salarié ou son licenciement. Son enjeu réside dans l’accompagnement du salarié vers des soins ou vers le sevrage, selon les cas. Enfin, dernier écueil : suite à un résultat positif aux psychotropes, au cannabis ou à l’alcool, la direction aurait dû informer les salariés de leur droit à une contre-expertise financée par l’employeur. Or, il n’en a jamais été fait mention…
Pour en savoir + sur… le Sedif, Veolia et Franciliane
« Plus grand service public d’eau en France, le Syndicat des Eaux d’Île-de-France (Sedif) s’attache à la satisfaction de ses usagers comme à la pérennité d’une gestion alliant transparence et performance pour un coût maîtrisé », peut-on lire sur veolia.com. Sa mission ? Réduire la consommation énergétique de ses équipements et ses émissions de gaz à effet de serre, mais aussi mieux préserver la ressource. En parallèle, Veolia Eau d’Île-de-France, filiale de Veolia, a développé en 2011, le ServO, centre de pilotage à distance, doté d’une IA, s’efforçant d’optimiser la production, l’entretien du réseau, les interventions urgentes. Le ServO reçoit toutes les données techniques en provenance des trois principales usines du Sedif, situées à Méry-sur-Oise, Choisy-le-Roi et Neuilly-sur-Marne, mais aussi des sites secondaires (réservoirs et châteaux d’eau). Quant à Franciliane, filiale à 100 % de Veolia, elle est chargée de la gestion du service d’eau potable pour le Sedif et assure l’approvisionnement en eau de 4 millions d’usagers dans 133 communes franciliennes, sous le contrôle des élus du Sedif.
Qu’ont donné les résultats des tests chez iléo-Semel-Veolia et quelles conséquences ont-ils eues sur la suite du déploiement ?
Des personnes ont été identifiées comme consommatrices. L’une d’entre elles travaillant sur le terrain et ayant été détectée au cannabis. Elle a été sommée de quitter immédiatement l’entreprise avec l’interdiction de reprendre son véhicule personnel pour rentrer chez elle et l’obligation d’être suivie par une assistante sociale car l’addiction n’est pas compatible avec ses missions. Faisant l’objet de restrictions (pas de conduite de véhicule, ni de manipulation sur machine et perte d’une astreinte le soir représentant un complément de salaire), le salarié a accepté d’être accompagné par un formateur de Parat Conseils. À l’issue de son arrêt maladie, la médecine de travail a procédé à un contrôle ; la reprise de son activité étant conditionnée à un test négatif.
Détecté car sous traitement médical, l’autre salarié a été contraint de s’expliquer sur sa condition alors qu’il ne souhaitait pas la partager avec l’employeur.
Pour qu’on ne lui oppose plus l’application de tests à certaines catégories de postes ne présentant aucun danger, la direction a consigné dans le règlement intérieur la chute de plain-pied (pour les postes administratifs, entre autres). L’enjeu : obliger l’ensemble du personnel à se soumettre aux TIC. S’il refuse, il viole le règlement intérieur et s’expose ainsi à une sanction.
Comment êtes-vous parvenue à mettre en suspens ces tests chez Franciliane ?
Mes équipes en régions m’ont remonté l’ensemble des pierres d’achoppement liées aux TIC. Je suis donc intervenue au niveau du groupe. J’ai fait des recherches sur Légifrance, dans le Code du travail, puis j’ai rédigé un courrier très factuel relu par l’avocat (voir page suivante). Suite à l’envoi de ma lettre, j’ai été immédiatement convoquée par la direction pour un échange dit « pédagogique ». J’ai rappelé que la direction ne pouvait pas se substituer à la police et malmener les libertés individuelles des salariés, faire tester tout le monde et sanctionner. Depuis, la responsable sécurité évite toute discussion avec moi à ce sujet.
Depuis un an, chez Franciliane, on n’entend plus du tout parler d’Osscar…
Interview réalisée par Aude Aboucaya

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