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Prérogative du CSE dans les entreprises comptant au moins 50 salariés, le recours à l’expertise s’inscrit comme un outil majeur à la disposition des élus en matière de santé, sécurité et de conditions de travail dans l’entreprise. Dans quel cadre le CSE peut-il y avoir recours ? Par Par Alexandre Chernet, consultant senior au sein du cabinet Plein Sens
Comment, au-delà du strict respect des conditions établies par décret[1], faire en sorte que ce travail qui doit nécessairement apporter « une information claire, précise et impartiale », contribue directement à l’amélioration et de la prévention des risques professionnels et ses conditions de mise en œuvre ? Autrement dit, quelles seraient les « conditions de réussite » à la bonne prise en compte du travail de l’expert désigné par le CSE ?
Voici quelques pistes tirées de l’expérience du cabinet Plein Sens[2] pour aider les élus à mieux s’en saisir, à lever sans tarder les risques le cas échéant et renforcer la politique de prévention des risques professionnels.
Trois situations sont prévues par le Code du travail : risque grave, projet important et négociation d’accord égalité professionnelle.
Le CSE peut faire appel à un expert habilité au sens de l’article R. 42315-51 du Code du travail pour investiguer la question des conditions de travail dans l’organisation dans trois cas de figure définis par décret, en application de l’article L2315-94 qui organise le recours à l’expertise en dehors des consultations récurrentes[3] ou ponctuelles[4] (C. Trav., art. L2315-78 à L2315-95).
Le CSE peut désigner un expert dans le cas de « projet important », entendu comme une transformation significative de postes de travail, découlant par exemple de la modification des outils, de l’organisation du travail, des cadences, du lieu de travail. Le CSE pourra s’appuyer sur les travaux de l’expert pour comprendre les impacts de ce projet sur les postes actuels en matière d’activités (tâches à réaliser, outils, ressources, logiciels, interlocuteurs), d’organisation du travail (modes de fonctionnement, répartition des rôles) et de leur environnement de travail (lumière, bruit, température, risques physiques en général). Il devra ensuite évaluer en quoi ces changements, le cas échéant, peuvent exposer les salariés à des situations et/ou facteurs de risques notamment psychosociaux.
Le CSE peut requérir un expert en cas de « risque grave », entendu comme un risque constaté, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, sur les personnes de l’organisation. Le risque grave peut être constaté à la suite de l’exercice du droit d’alerte ou de retrait, d’une enquête AT/MP (assurance maladie), d’une inspection des lieux de travail. L’expertise portera sur les situations de travail vécues aujourd’hui par les salariés et susceptibles de présenter un danger pour leur santé et/ou leur sécurité. Il évaluera la préparation des négociations en vue de la signature d’un accord sur l’égalité professionnelle. Cette prérogative vise uniquement le CSE dans les organisations de plus de 300 salariés. Ici, l’expert aura pour mission d’aider les élus à identifier les éventuelles différences d’emploi, d’évolution de carrière, de salaire, de représentations entre les femmes et les hommes au sein de l’organisation. Il se prononce sur la présence et la qualification de situations d’inégalités (statistiques et qualitatives).
Instruire collectivement la décision du recours
Cette étape est incontournable, d’abord pour commencer à apprécier collectivement, en tant qu’élus, la situation et recueillir l’ensemble des éléments permettant d’identifier le type d’expertise à engager. La hausse des absences injustifiées, la dégradation de l’ambiance de travail et de la qualité des relations, violences verbales… font partie des signaux faibles permettant de motiver une demande d’expertise pour « risque grave ». Pourront aussi être passer en revue l’ensemble des autres actions possibles pour agir sur ce périmètre : diagnostic conditions de travail, enquête… L’expertise est-elle bien appropriée ? Cela permet aussi d’appréhender la démarche qui pourrait s’engager à l’aune de la feuille de route globale du CSE et des moyens à y consacrer : comment bien l’articuler aux actions en matière de prévention possiblement déjà en cours ? En a-t-on les moyens ? Quelle communication envisage-t-on ? Qui seront les élus référents côté élus ? Ces questionnements renvoient au caractère stratégique de la décision qui sera prise et de ses implications pour les élus du CSE et toute l’organisation. À son issue, se dégage une prise de décision en responsabilité et cohérente avec les engagements du CSE. Autant d’éléments qui se révèlent des ressources pour établir le cahier des charges qui serait remis à l’intervenant habilité, mais aussi pour communiquer sur la démarche auprès des salariés, engager et poursuivre le dialogue avec la direction dès la demande d’intervention en instance. Une première prise de contact avec un ou plusieurs experts peut être opportune. Sans engager les élus, elle permet d’apporter de premiers éléments de réponse à même de nourrir utilement la réflexion.
Mieux identifier les actions à mettre en œuvre
Le rapport et les temps de restitution avec les élus, puis avec les élus et l’employeur visent une compréhension commune de ce qui fait défaut ou blocage au sein de l’organisation. Étayé d’exemples concrets de situations de travail, et décrivant les actions à engager par la suite (service, équipe, poste concernés), le rapport facilite la lecture et l’appropriation par les acteurs en responsabilité.
C’est seulement à partir d’un matériau décrivant de manière claire et précise, des dysfonctionnements organisationnels, leurs causes et leurs effets sur les personnes, les impacts ou les inégalités professionnelles selon le type d’expertise, que pourra s’engager la discussion sur les mesures de prévention et d’amélioration qui pourraient être mises en place pour lever les risques et améliorer durablement les conditions de travail.
[1]Arrêté du 7 août 2020 relatif aux modalités d’exercice de l’expert habilité auprès du comité social et économique
[2] Plein Sens dispose depuis le 1er juillet 2014 de l’agrément Expert CHSCT « Organisation du travail, dont les équipements de travail Environnement de travail, y compris les expositions chimiques, physiques et biologiques, Égalité professionnelle » délivré par le Ministère du Travail et renouvelé depuis le 01/12/2022 dans le cadre de la nouvelle certification Qualienor.
[3] Orientations stratégiques de l’entreprise, situation économique et financière de l’entreprise, politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi
[4] Opération de concentration, usage du droit d’alerte économique, projet de licenciements collectifs pour motif économique, offre publique d’acquisition