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Beaucoup a été dit sur les ordonnances Macron et les salariés en vivent déjà les effets. La réforme du droit du travail n’est pas qu’un débat de juristes ; elle est vaste voire dévastatrice. Le coronavirus serait même un allié inattendu pour accélérer la remise en cause de nombreux droits sociaux. J’exagère ? Voyons ensemble ce que l’Accord de Performance Collective permet… Par Ronan Darchen, cabinet Alinéa
Les APC ou accords de performance collective sont jeunes et ambitieux : nouveaux nés applicables depuis début 2018, ils promettent de développer et préserver l’emploi, rien que cela !
APC, késako ?
Il s’agit d’une nouvelle catégorie d’accords collectifs pour répondre aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise. Première originalité, ce ne sont plus les syndicats mais les employeurs qui revendiquent. De quoi bousculer les rituels de négociation et attiser les craintes de chantage à l’emploi. Le maintien de l’emploi justifie des sacrifices mais peut-il aller jusqu’à un « quoiqu’il en coûte » pour le salarié ?
Second point majeur, une articulation spécifique avec les contrats de travail peut priver le salarié de son emploi au seul motif qu’un accord modifiant des éléments aussi essentiels que le lieu de travail ou la rémunération aura été signé avec une organisation syndicale majoritaire dans l’entreprise. De là à penser que le CDI (contrat à durée indéterminée) n’a pas été aussi bien préservé que l’ont prétendu les promoteurs de la réforme, il n’y a pas loin puisque le salarié n’a d’autre choix que d’accepter contraint les modifications imposées s’il ne veut pas rejoindre les rangs des demandeurs d’emploi dont tout le monde sait que le nombre va grimper fortement ces prochains mois.
Les sujets de négociation offerts par l’accord de performance collective correspondent aux piliers du contrat de travail : le temps de travail et son aménagement, la rémunération qu’il s’agisse du salaire de base ou d’autres éléments de rémunération, la mobilité qu’elle soit professionnelle comme géographique. Avec un tel programme, les entreprises peuvent se montrer très audacieuses et inventives. Il est vrai que la promesse était de « libérer l’entreprise ».
Mais c’était comment avant ?
Souvenons-nous, ce n’est pas si vieux. Hier les accords collectifs n’avaient pas le pouvoir d’impacter les contrats de travail des salariés. Accords collectifs et contrats individuels étaient deux sources autonomes de droit et en cas de disposition conventionnelle ayant un même objet qu’une disposition contractuelle, on appliquait la plus favorable au salarié. Ce régime était protecteur et si le principe figure encore à l’article L 2254-1 du Code du travail, il connaît de plus en plus d’exceptions ; l’accord de performance collective ouvre une large brèche.
En 2000, la loi Aubry II voulait favoriser la négociation d’accords ARTT. Elle a alors posé le principe que lorsqu’un accord collectif se borne à réduire la durée du travail des salariés sans toucher à la rémunération, cet accord s’impose au salarié. En cas de refus d’application de l’accord, le salarié peut être licencié. Plus tard, la loi du 23 mars 2012 poussait la logique en décidant que la mise en place d’une modulation du temps de travail s’imposait aux salariés en dépit de leurs contrats. Ensuite tout s’accélère, la loi de Sécurisation de l’Emploi de juin 2013 et la loi Travail (El Khomri) d’août 2016 développaient cette nouvelle génération d’accords ayant le pouvoir de s’imposer aux contrats de travail avec, en cas de refus du salarié, un licenciement à la clé. Ces accords « nouvelle génération » pouvaient déjà toucher à la mobilité géographique ou professionnelle, la rémunération, la durée du travail ou son aménagement. Nous n’avons rien inventé, nous donnons simplement les moyens de faire, assènent les « libérateurs de l’entreprise ». En effet, l’APC reprend les caractéristiques de ces accords, en simplifie les modalités de conclusion, en élargit le champ sous un régime juridique unique et n’accompagne guère les salariés qui ne pourront pas suivre le mouvement.
Comment l’APC est-il né ?
L’impossible résistance à la loi Travail en 2016 et l’élection présidentielle de 2017 ont accéléré le mouvement. Le rapport de force était déséquilibré avec ses opposants ; le chômage était élevé et persistant. C’est donc l’une des ordonnances de septembre 2017 qui donne naissance à l’APC, le présentant comme la simple fusion et simplification (tiens, on nous a dit cela aussi pour le CSE) d’accords collectifs spécifiques qui l’ont précédé. Ces accords aujourd’hui abrogés ont porté le nom d’accords de maintien de l’emploi, d’accords de mobilité interne ou encore de préservation ou développement de l’emploi. Cerise sur le gâteau : l’ordonnance Macron y a ajouté les accords d’aménagement du temps de travail susceptibles de s’imposer sur les contrats de travail à temps plein (annualisation ou réduction du temps de travail et possibilité de mettre en place ou modifier des conventions de forfait jours).
Difficile de faire plus large que « les nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise » ou de reprocher un objectif de « préservation » (APC défensif) voire de « développement » (APC offensif) de l’emploi. Personne n’y est défavorable a priori. Par cette formulation vaste, l’APC peut embrasser un grand nombre de situations sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un contexte économique difficile. Les accords étiquetés « APC » disposent de pouvoirs juridiques accrus puisqu’ils s’imposent sur les contrats de travail au nom de l’emploi et conduisent à des licenciements peu accompagnés, simplement basés sur le refus du salarié de voir évoluer son contrat par l’effet de l’accord collectif. L’APC se présente au nom d’un intérêt supérieur (l’emploi) ou lié à un état de nécessité impérieuse. Qui refuse l’accord de performance ne jouerait pas collectif !
Flexibilité à sens unique ?
L’APC est un puissant levier de flexibilité interne. L’article L2254-2 du Code du travail mérite d’être précisé pour que chacun mesure les possibilités qu’il ouvre de revenir sur des droits souvent chèrement obtenus lors de précédentes négociations et de luttes sociales. Quel compromis entre flexibilités et emploi puisque c’est de cela qu’il s’agit ? Flexibilités au pluriel aussi car il ne s’agit pas uniquement d’aménager le temps de travail, vous l’avez compris.
L’accord de performance collective a donc le pouvoir d’allonger ou réduire le temps de travail, de l’organiser ou de le répartir d’une façon différente de celle inscrite au contrat de travail du salarié à temps complet. La tentation peut être grande de s’en saisir pour revoir l’aménagement en vigueur dans l’entreprise. Cet accord peut aussi, voire en même temps, regrouper des activités sur un site unique et imposer alors une mobilité aux salariés. C’est la voie de l’APC qu’avait envisagé une entreprise alsacienne, Delpierre, pour déplacer sa production au moins, ses salariés peut-être en Bretagne. L’accord a finalement été refusé par la Direccte qui a exigé un plan de sauvegarde de l’emploi pour garantir aux salariés qui ne passeraient pas à l’ouest d’accéder à l’accompagnement d’un licenciement économique, mieux-disant que le maigre sui generis et son abondement du CPF (compte personnel de formation).
La rémunération contractuelle peut également être mise à mal puisque seul le salaire minimum hiérarchique est garanti. Évidemment, les avantages conventionnels sont aussi ciblés : treizième mois, prime de vacances, etc. Et si le législateur demande dans cette hypothèse que l’accord prévoit l’effort consenti par les dirigeants, il ne fixe réellement aucun minimum si bien que seule la négociation permettra d’obtenir un effort équilibré… ou non.
L’APC, un vaccin anti-crise quand même ?
Tout particulièrement aujourd’hui, l’accord de performance collective dans son registre défensif (préserver l’emploi) semble paré de vertus. Le contexte sanitaire fait proliférer les APC et plusieurs entreprises se sont lancées dès avril 2020, d’abord parmi les secteurs particulièrement touchés par la crise sanitaire à l’instant du transport aérien. Ainsi, Air Caraïbes et French Bee ont conclu une baisse d’environ 10 % des rémunérations pendant 2 ans pour préserver l’emploi. Cette baisse de rémunération variera selon les catégories professionnelles de même que les modalités qu’il s’agisse de dégrader des primes ou le salaire de base après que des salariés ont déjà essuyé des baisses de revenu liées à l’activité partielle. Depuis, le mouvement s’est élargi et gagne aujourd’hui toutes les activités. Plusieurs centaines d’accords sont conclus dans des secteurs allant de l’industrie à la distribution en passant par l’ingénierie, le transport ou les services. C’est une montée en régime importante. Les branches de la plasturgie, de la métallurgie et des bureaux d’études techniques sont particulièrement représentées dans la conclusion de ces accords et le nombre de négociations engagées augmente sous l’effet de la crise économique qui suit la crise sanitaire.
La négociation d’APC est parfois proposée en parallèle d’un projet de licenciements (Plan de départs volontaires-PDV, Plan de sauvegarde de l’emploi-PSE) ou d’une négociation de ruptures conventionnelles collectives (RCC) ou encore d’un accord pour mettre en place l’activité partielle de longue durée (APLD). « Le cas Derichebourg a été médiatisé. Dans cette entreprise, un APC a été signé en juin 2020 alors que l’entreprise mettait dans la balance 750 possibles licenciements sur 1 700. L’APC réduit les primes repas et transport et supprime le 13ème mois en 2020 pour les cadres »… contre un engagement à ne pas engager de PSE pendant deux ans, ce qui ne veut pas dire ne pas réduire l’effectif. Quoiqu’il en soit, fin juillet 2020, 163 salariés refusaient l’application de l’APC et s’exposaient à être licenciés alors que l’accord devait maintenir l’emploi. Des salariés ont déclaré devoir choisir entre la peste et le choléra. Dilemme également pour les syndicats d’Aéroports de Paris. Bien sûr, le trafic aérien est à l’arrêt mais quelles concessions accepter pour quelles garanties ? L’accord de ruptures conventionnelles collectives ne suffit pas à atteindre les 100 millions d’économies visés. Le projet d’APC de la direction a été rejeté en novembre 2020 mais l’entreprise reconvoque le CSE pour un « plan d’adaptation du contrat de travail », un engagement sur l’emploi inférieur et la promesse d’un PSE pour traiter les refus de baisse de rémunération. La CFE CGC évalue cette baisse à 15 % de la rémunération totale quand la direction affirme qu’elle ne dépassera pas 8 % quand même.
Les besoins de fonctionnement d’une entreprise sont variés mais il convient de remarquer que la loi emploi le mot « nécessités » ; ce qui signifie en pratique que l’APC vise à répondre certes à un besoin. Néanmoins, ce besoin devrait être « impérieux ». Contrairement aux accords de maintien dans l’emploi du gouvernement Hollande qui exigeaient un diagnostic et des difficultés économiques conjoncturelles comme conditions à la négociation, pour l’APC ni l’un ni l’autre n’est imposé. C’est finalement aux parties à la négociation d’exposer les motifs de l’APC et de définir des objectifs notamment dans le préambule de l’accord. On peut ainsi imaginer que pour décrocher certains marchés, l’entreprise demande davantage de flexibilité avec une plus grande modulation des horaires, une durée du travail ou un nombre de jours travaillés supérieurs tout en prenant des engagements d’embauches et des contreparties à la flexibilité accrue. Les représentants du personnel doivent aussi être exigeants et obtenir des engagements solides s’ils empruntent ce délicat chemin. L’APC peut être une proposition syndicale mais soyez vigilants sur les engagements en contrepartie.
L’expert du CSE en soutien
Comme la justification de l’APC se fonde sur des nécessités de fonctionnement, il apparaît important de disposer d’un diagnostic pour s’accorder sur « l’état de nécessité » de l’entreprise : même dans un contexte de crise économique, il n’est pas rare que la perception entre acteurs sociaux soit différente et que chacun ne place pas le curseur au même niveau. C’est le CSE, quoique pas obligatoirement consulté sur le projet d’accord, qui peut désigner un expert-comptable pour assister les syndicats dans la négociation. Cette mission d’assistance fait partie des expertises cofinancées : 80 % à la charge de l’entreprise et 20 % à la charge du CSE sur son budget de fonctionnement sauf à obtenir un financement intégral dans le cadre d’un accord de méthode.
Malgré le contexte Covid, l’analyse de l’expert n’est pas superflue pour poser un diagnostic clair et précis des besoins impérieux de fonctionnement et des enjeux affichés sur l’emploi. L’expert peut identifier les besoins pérennes et ceux plus conjoncturels, évaluer les perspectives de l’accord et le rendre plus équilibré. En juillet 2020, France Stratégie publiait le rapport intermédiaire du comité d’évaluation des ordonnances Macron relatives au dialogue social et aux relations de travail. Une partie de ce rapport aborde les APC et souligne un détournement de l’APC dans certains cas. Des entreprises « libérées » utilisent l’APC pour harmoniser les statuts collectifs suite à une fusion ou intègrent des thèmes non prévus par la loi comme l’allongement des périodes d’essai ou la réduction des préavis de licenciement.
Négociation à hauts risques
Le risque est grand que les APC soient des accélérateurs de dumping social alors que les ordonnances Macron ont donné plus de latitude à l’accord d’entreprise pour s’affranchir des dispositions conventionnelles de branche et à l’APC celle de s’affranchir aussi de certaines dispositions contractuelles même si l’APC est un accord majoritaire. Dans les entreprises ayant des délégués syndicaux, il doit donc être signé par les syndicats ayant obtenu une audience supérieure à 50 % des suffrages exprimés aux dernières élections. Une validation par référendum est possible s’il est signé par des syndicats ayant obtenu seulement 30 %. Ce « sauvetage » par référendum conduit à demander aux salariés des collèges concernés si l’accord est catégoriel ou ceux des établissements couverts par l’accord si l’accord est inter-catégoriel.
La négociation est menée par les délégués syndicaux. Mais les entreprises qui en sont dépourvues, des élus ou salariés mandatés par des organisations syndicales représentatives voire par des élus du CSE non mandatés peuvent être sollicités. Important à savoir : la loi ne prévoit rien sur la durée de l’APC et ces accords peuvent donc autant être à durée déterminée qu’à durée indéterminée. Aux négociateurs d’exiger une durée déterminée si la finalité de l’APC est ponctuelle et temporaire. Ce devrait être très majoritairement le cas mais curieusement (ou non) on recense beaucoup d’APC sans durée définie.
Dans son préambule, l’accord définit ses motifs, ses objectifs et le type de mesures qu’il entend actionner : c’est la seule clause légalement obligatoire. L’ordonnance Macron a voulu un cadre juridique léger et n’a pas jugé bon de reconduire les exigences minimales de contenu de l’accord qui prévalaient pour les accords auxquels il se substitue. La loi liste néanmoins des clauses optionnelles que les parties décideront ou non d’intégrer. Les parties peuvent aussi ajouter leurs propres clauses. Nous ne pouvons donc qu’inviter à prévoir aussi l’examen de la situation des salariés à l’issue de l’accord, les conditions dans lesquelles l’effort ou les sacrifices demandés sont étendus aux dirigeants et actionnaires, les modalités permettant de concilier vie professionnelle et vie personnelle quand il y a des changements d’horaires, le suivi de l’accord, l’information des salariés ainsi que l’accompagnement de ceux qui ne pourront que refuser son application. La loi ne prévoit pas la possibilité d’insérer une clause pénale dans l’accord mais rien n’interdit de prévoir des dispositions en cas de manquements de l’entreprise sur les engagements pris.
Et les licenciements à cause de l’APC ?
Le licenciement sui generis est un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse. Il est tiré du refus du salarié et ne peut constituer une faute. La procédure que devra suivre l’employeur est celle d’un licenciement pour motif personnel quel que soit le nombre de salariés ayant refusé l’accord. Sont donc applicables les règles relatives à l’entretien préalable et l’obligation pour l’employeur de notifier le licenciement au minimum deux jours ouvrables après l’entretien. Si le salarié est salarié protégé la direction devra appliquer la procédure spéciale de licenciement et notamment recueillir l’autorisation de licenciement de la part de l’inspecteur du travail. Aux indemnités légales ou conventionnelles, s’ajoute seulement un abondement du CPF de minimum 3 000 € versés par l’employeur à la Caisse des Dépôts et Consignations sous 15 jours après le licenciement. Cet abondement s’applique même si le salarié a atteint le plafond de son CPF. Le bénéfice éventuel de mesures négociées par l’APC peut s’ajouter : aide à la recherche d’emploi, financement de formation, abondement supérieur au CPF… Puisque c’est une perte involontaire d’emploi, le salarié sera éligible à l’assurance chômage dans les conditions de droit commun. Triste programme…