Dossier

Le télétravail régressera-t-il en 2022 ?

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Alors qu’un retour à la normale semble s’esquisser en entreprise, une majorité des salariés souhaitent néanmoins pérenniser la pratique du télétravail…

Par Constance de Cambiaire

Fin du télétravail obligatoire dans les entreprises, permission de pots entre collègues…. Un vent de normalité semble (enfin) souffler sur cette rentrée 2021. Pourtant, plusieurs études démontrent que les salariés souhaitent pouvoir continuer cette pratique et ne pas revenir 5 jours sur 7 au bureau.  La crise sanitaire que nous traversons aura donc durablement modifié nos comportements et habitudes professionnelles. En effet, alors qu’avant le premier confinement – décidé en urgence mi-mars 2020 – seulement 3 % des actifs télétravaillaient, ce chiffre a connu une ascension spectaculaire pour atteindre un quart des salariés pendant les deux premiers confinements, selon les données présentées par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).

Sauver l’économie

Le télétravail s’est imposé comme LA solution afin de préserver l’activité des entreprises et l’économie en générale. Cette pratique aurait représenté un gain pour l’économie française « compris entre 216 et 230 milliards d’euros de PIB pendant les deux premiers confinements. Ce sont ainsi plus de 9 points de PIB qui ont été sauvés en 2020 par le déploiement du télétravail », affirment les auteurs d’un rapport[1] publié par l’Institut Sapiens.

Bénéfique pour l’économie mais quid des collaborateurs ? Cette organisation est plébiscitée par les salariés, selon ce think tank libéral spécialisé dans les évolutions liées à la révolution numérique. Toujours selon la même étude, 55 % des actifs souhaitent que cette pratique se généralise et se diffuse massivement.

Des résultats corroborés par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Un an après avoir réalisé une première consultation sur le télétravail en temps de crise, l’organisation a lancé, de février à avril 2021, une nouvelle enquête[2] afin d’apprécier les évolutions des pratiques et leurs effets. Résultats ? Malgré les difficultés, 96 % des personnes interrogées souhaitent poursuivre le télétravail, dont 36 % trois jours et plus par semaine.

Hausse de la productivité

Pour expliquer cet engouement, les auteurs du rapport soulignent que les entreprises ont fait des efforts pour tirer les leçons du premier confinement et améliorer les conditions de leurs salariés. Parmi les évolutions positives, on retient que près de trois-quarts des répondants estiment aujourd’hui disposer d’un environnement matériel adapté (72 % contre 67 % en 2020) et d’outils numériques adéquats (95 % contre 87 % en 2020). La moitié déclarent que leurs activités ont été adaptées ou redéfinies.

Aux managers inquiets de ne pas pouvoir contrôler leurs collaborateurs, l’étude apporte un résultat rassurant : le télétravail a entraîné une hausse de la productivité des salariés de 22 %, selon les chiffres de l’Institut Sapiens. Une progression qui s’explique entre autres par une augmentation des temps de travail et de sommeil, une réduction des temps de trajet ou encore « une forte réduction des réunions inutiles et chronophages qui nuisent à la productivité », souligne le think tank. Cette amélioration de la productivité avait déjà été mise en avant par une enquête menée en 2012 par la Direction générale des entreprises (DGE). A l’époque, 85 % des entreprises interrogées considéraient que le télétravail améliore leur productivité. En effet, selon les chiffres de Bercy, les entreprises ayant instauré le télétravail avaient enregistré une hausse de leur productivité de 5 % à 30 %[3], une baisse d’absentéisme de 20 % et last but not least jusqu’à 30 % d’économie de surface immobilière de locaux[4] !

2 ou 3 jours par semaine

L’Institut Sapiens est donc catégorique : il faut pérenniser la pratique du télétravail puisqu’elle est bénéfique pour les salariés et les entreprises… mais pas uniquement ! Elle permet aussi une meilleure inclusion de certains publics (personnes en situation de handicap, salariés proches de la retraite, jeunes parents…), des gains environnementaux liés à la réduction des déplacements ou encore un rééquilibrage entre les métropoles et les zones rurales.

« Néanmoins, pérenniser une pratique apportant autant de progrès ne sera pas chose aisée et demandera de nombreuses adaptations », pointent les auteurs du rapport. Outre un accès plus large à l’Internet haut débit, des aménagements sont nécessaires avant de généraliser le télétravail. Il est ainsi fondamental de former les salariés et les managers à cette nouvelle organisation. Les experts recommandent par ailleurs d’« apporter des avantages » à ceux qui sont contraints de se rendre au bureau, comme le remboursement à 100 % des frais de transport. Le tout « pour éviter de créer une nouvelle ligne de fracture dans la société française. »

Risque d’isolement

Le télétravail serait la panacée ? Oui mais à petite dose. Selon les données compilées par l’Institut Sapiens, cette pratique ne doit pas excéder 2 à 3 jours de travail à domicile par semaine. Au-delà, ils observent une productivité décroissante des collaborateurs….

Outre cette baisse de la productivité, travailler à distance modifie en profondeur les relations professionnelles. Les risques sont variés : isolement social et professionnel, journées à rallonge qui empiètent sur la vie privée…

« D’après mes observations, lorsque le télétravail se limite à un ou deux jours par semaine, cela permet aux salariés d’être plus flexibles dans leur organisation vie privée-vie professionnelle. Il est très important que les salariés continuent à venir dans les locaux de l’entreprise, insiste Amélie Straub, sociologue et consultante, qui met en avant l’importance de maintenir le lien social entre les collègues. On a observé l’importance des relations informelles entre collègues – autour d’un café par exemple- pour prévenir les conflits ou permettre le travail transversal entre différentes équipes. Ces temps informels agissent comme un liant social. Par ailleurs, le soutien entre collègues a été identifié comme un facteur-clé dans la prévention des risques psychosociaux. »

Des relations dégradées

Une mise en garde confirmée par l’Anact qui souligne que les conséquences liées à la pratique du télétravail sont bien perceptibles : ainsi, 64 % des répondants s’estiment aujourd’hui sur-connectés, 40 % se sentent seuls, isolés (un taux qui atteint 43 % parmi les non managers) et 33 % ressentent du stress compte tenu des incertitudes pesant sur leur structure en lien avec la crise sanitaire (un taux qui atteint 39 % parmi les hommes).

Par ailleurs, le télétravail n’est pas adapté à tous les salariés. S’il convient à certains collaborateurs, les plus expérimentés, ou ceux qui ont particulièrement besoin de calme pour se concentrer sur une tâche, il faut rester vigilant. « Le télétravail ne convient pas à tous les profils : il faut être autonome et organisé. Le salarié peut vite se sentir isolé et manquer de recul, loin de ses collègues et de sa hiérarchie. Il est impératif de définir précisément avec son supérieur les tâches qui pourront être réalisées hors de l’entreprise », met en garde l’experte. Parmi les autres difficultés soulignées par la dernière étude de l’Anact, on retient que 37 % des répondants estiment que les relations professionnelles se sont « dégradées » (ils étaient seulement 17 % à répondre cela en 2020). 63 % d’entre eux ont le sentiment de travailler plus, ce qui représente une évolution nette par rapport aux 48 % des sondés de l’année précédente. Enfin la moitié des personnes interrogées disent ressentir un sentiment de fatigue(35 % en 2020).

Déjà pointée dans la consultation de 2020, la difficulté des managers à évaluer et adapter la charge de travail à distance et sur sitedoit inciter les directions à les soutenir et leur fournir les moyens adaptés, avec notamment la mise en place de formations.


[1] « Quel avenir pour le télétravail ? Pérenniser et sécuriser une pratique d’avenir », 2021

[2] « Télétravail de crise en 2021 : quelles évolutions ? Quels impacts ? », mai 2021

[3] « Le télétravail dans les grandes entreprises françaises », rapport remis à la DGE de mai 2012

[4] DGE / Greenworking / CGET

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