Nombre de salariés se retrouvent sur le carreau suite à une longue absence, car les entreprises continuent de tourner sans eux. La clé pour les réintégrer avec succès ? L’anticipation et la préparation de la reprise via plusieurs dispositifs.
Depuis janvier 2023, Yann Prigent a arrêté son travail de chef comptable au sein de DAF Trucks. Sous dialyse, il vient de sortir de l’hôpital d’Amiens après avoir reçu une greffe de rein. Avec le recul, il se félicite de l’accom- pagnement et du soutien du constructeur automobile franco-néerlandais : « Mon manager m’a dit: “Cela prendra le temps qu’il faudra. Tu te remets d’aplomb et on repartira ensemble.” C’est une entreprise très humaine qui maintient mon salaire jusqu’à mon retour. De nos jours, très peu d’entreprises ont cette philosophie-là. Cela m’a reposé l’esprit alors que j’avais l’impression d’abandonner le navire et de quitter ma collègue comptable. Je me sens très redevable envers mon entreprise », confie-t-il. Plutôt que de couper complètement avec DAF Trucks et avec ses collègues, Yann Prigent a fait le choix de continuer à passer les voir trois fois par semaine pour les saluer et de poursuivre son travail de secrétaire du CSE. « Cela m’a beaucoup aidé dans ma démarche de guérison », assure-t-il. En attendant son retour, DAF Trucks a décidé de le remplacer par un CDD. « La personne joue le jeu et sait que, lorsque je reviendrai, elle s’en ira. » Sur le sujet, s’il confie ne pas encore avoir toutes les cartes en main pour programmer son retour, il a d’ores et déjà prévu d’en discuter pendant l’été avec son manager. Le cas de Yann Prigent ne semble pas celui que vivent tous les salariés partis pour des arrêts de longue durée.
Dure, dure, la reprise…
Frédéric Bourgeois, président de Val Solutions, éditeur de logiciels spécialiste de la prévention et de la santé au travail, évalue ainsi qu’une personne sur deux se retrouve en difficulté lors de la reprise du travail après un long arrêt si celle-ci n’a pas été suffisamment anticipée et préparée. Pour Maître Pierre Vignal, cofondateur du cabinet Komitê et avocat au barreau de Paris, la plus grande difficulté pour une personne absente pendant un arrêt long consiste à retrouver son poste. Il liste les cas classiques de conflits qu’il rencontre et qui donnent lieu à des contentieux: « Le salarié, une fois parti, peut devenir une sorte de paria, explique-t-il. Soit il n’est plus le bienvenu et son poste n’existe plus; il est alors livré à lui-même et l’entreprise lui fait sentir que, s’il veut partir, ce serait plus simple. Soit il est discriminé et prié de se trouver seul un poste de reclassement ailleurs dans l’entreprise. Le salarié a souvent été remplacé pendant son absence, l’organisation a été modifiée, l’entreprise ne s’est pas arrêtée de tourner, et la situation du retour n’est pas évidente à gérer pour le convalescent », expose l’avocat. La responsabilité de l’employeur est donc de lui permettre de « reprendre son poste dans les meilleures conditions possibles, soit un poste qui n’a pas été modifié, ni dé- qualifié, avec au besoin la mise en place de formations pour lui permettre de retrouver son poste sans être mis en difficulté », poursuit-il.
Maintenir le lien
Tous les acteurs clés – services de prévention et de santé au travail (SPST), salarié, manager, direction, médecin de ville, médecin du travail, CPAM, organismes de l’emploi… – doivent se coordonner pour préparer le retour de l’employé et les conditions de sa reprise. « Ils doivent partager les informations pour mettre en place un plan de retour à l’emploi », signale Frédéric Bourgeois. Pour ce faire, Val Solutions a mis en place uEgar®, une plateforme connectée de prévention et de santé au travail qui facilite la communication entre le salarié, son employeur et les professionnels de prévention et de santé au travail. Pour le médecin du travail spécialisé Mounir Ghedbane, fondateur de la plateforme collaborative dédiée au maintien dans l’emploi et à la lutte contre la désinsertion professionnelle Sam-i, désormais intégrée à uEgar®, la clé du succès pour réintégrer un salarié après une longue absence réside dans le maintien du lien. «Pouvoir échanger avec le collaborateur en arrêt permet de le rassurer, L’enjeu est énorme en termes de coût financier pour les entreprises et de coût pour la société. Alors que l’absentéisme atteint des sommets ces dernières années – l’assurance maladie a versé 15 milliards d’euros d’indemnités journalières en 2022, contre 6,3 milliards en 2012 –, sur dix ans, un million de travailleurs ont perdu leur emploi suite à des arrêts longs ou d’inaptitude », chiffre Mounir Ghedbane.
Mon manager m’a dit: « Cela prendra le temps qu’il faudra. Tu te remets d’aplomb et on repartira ensemble. » C’est une entreprise très humaine qui maintient mon salaire jusqu’à mon retour. De nos jours, très peu d’entreprises ont cette philosophie-là. Cela m’a reposé l’esprit alors que j’avais l’impression d’abandonner le navire et de quitter ma collègue comptable. Je me sens très redevable envers mon entreprise »
Yann Prigent, chef comptable chez DAF Trucks et secrétaire du CSE
Entretien de reprise de poste
Pour ce médecin du travail, la bonne réintégration d’un salarié après un arrêt long est un sujet de dialogue social, « l’entreprise étant le premier acteur du maintien dans l’emploi. Les élus CSE et CSSCT doivent s’emparer de ces questions, challenger la direction et aider à construire une stratégie durable et efficace de maintien dans l’emploi ». Maître Pierre Vignal tempère, de son côté, les attributions du CSE : « Son rôle n’est pasclairement défini par la loi. Le Code du travail n’accorde pas de prérogative particulière au CSE sur ce sujet spécifique. Il reste néanmoins une instance de représentation du personnel avec des prérogatives larges en matière de santé au travail et ses attributions lui permettent de tout imaginer, par exemple l’accompagnement d’un salarié lors de l’entretien de reprise de poste. » L’avocat explique ainsi mener des négociations de fiches de poste entre direction et salarié, son conseil et le CSE pour que l’employé réintègre son poste dans les meilleures conditions. « Si cela ne se passe pas bien, le CSE dispose de toutes les prérogatives habituelles sur la santé et la sécurité au travail, comme lancer une procédure d’alerte ou déclencher une enquête », indique-t-il. Pour lui, les membres du CSE doivent être impliqués dans la discussion. « Ils ont des choses à dire et des points de vigilance à apporter et sont parfois plus informés de ce qui se passe dans les services. » Ils doivent, en outre, se rendre disponibles pour le suivi de la reprise du travail : « Ce dernier doit trouver un relais auprès du CSE en cas de difficulté », prévient-il encore. La visite de préreprise, préparatoire au retour au travail, permet au salarié de prendre rendez-vous auprès du médecin du travail pour l’informer de ses problématiques de santé et de son parcours de soins. Le médecin peut ainsi « identifier ses capacités et évaluer le potentiel risque d’inaptitude et de désinsertion professionnelle », estime Mounir Ghedbane. En termes de délai, il recommande de ne pas attendre avant de prévoir cette visite. « Sa précocité est très importante », assure-t-il. L’objectif de cet entretien étant une fois de plus de faire le lien avec le convalescent pour s’assurer des conditions de reprise. L’employeur est débiteur d’une obligation d’information du collaborateur en arrêt de l’existence de cette visite.
Essai encadré
Pour explorer les possibilités de retour, l’assurance maladie propose depuis 2015 aux entreprises et aux collaborateurs « l’essai encadré ». S’il s’agissait auparavant d’un essai de trois jours, il est passé à quatorze jours renouvelables une fois. Cela permet à l’employeur pendant l’arrêt maladie du patient de l’accompagner pour tester dans quelles conditions il pourra reprendre le travail. Objectif, donner l’opportunité au salarié de « reprendre le chemin du travail dans un cadre protecteur », affirme Mounir Ghedbane. Cela passe par une observation attentive du convalescent pour voir ce que l’entreprise peut déployer sur les plans technique, organisationnel et environnemental. Au-delà des aménagements de poste ou de temps, cela peut passer par la recherche d’autres postes ou tâches plus adaptés. Le médecin du travail a la possibilité de conseiller la mise en place d’un temps partiel thérapeutique pendant une période transitoire, conditionné à un accord de l’entreprise. Autre possibilité : faire travailler le salarié en binôme pour lui permettre de rattraper le retard qu’il a pu prendre pendant son arrêt, ou, s’il y a eu des évolutions im- portantes durant son absence, lui proposer de suivre des formations pour qu’il se remette à niveau, liste Frédéric Bourgeois. « Il faut doser le travail, l’aménager, l’adapter afin de le rendre soutenable pour celui qui revient au travail. Ce ne sont pas les dispositifs qui manquent, conclut Mounir Ghedbane. La préparation de la reprise est aussi un moyen de la sécuriser et d’en assurer le succès dans 99 % des cas, a contrario d’une reprise à l’aveugle qui en- gendre un risque d’échec. » L’entreprise qui prend ainsi les devants ne subit pas le retour du salarié mais participe à sa bonne réintégration. En outre, cet essai encadré permet de « redonner confiance au collaborateur et de le réengager ».
Rendez-vous de liaison
Autre cas de figure qui s’offre aux em- ployeurs, bien en amont du retour afin de « casser la rupture et recréer le lien dans une période d’isolement pour le convalescent », selon Mounir Ghedbane : le rendez-vous de liaison ou la visite de contact. Ce dispositif, instauré par la loi santé au travail du 2 août 2021, peut être mis sur pied en présentiel ou en distanciel, à l’initiative du collaborateur, de l’employeur à partir d’un arrêt d’au moins trente jours. L’objectif étant de « maintenir le contact et de préparer ensemble de manière informelle le retour du collaborateur », explique Frédéric Bourgeois. Mais aussi de « pouvoir échanger et informer le salarié sur ses droits complémentaires, de prévoyance et sur les possibilités de retour avec bienveillance, sans jugement et sans être intrusif », ajoute Mounir Ghedbane, qui insiste sur la responsabilité qui pèse sur l’employeur tout au long de l’arrêt du collaborateur: « Il devient débiteur d’une obligation d’information des collaborateurs des dispositifs qui existent. »
Le salarié, une fois parti, peut devenir une sorte de paria. Soit il n’est plus le bienvenu et son poste n’existe plus ; il est alors livré à lui-même et l’entreprise lui fait sentir que, s’il veut partir, ce serait plus simple. Soit il est discriminé et prié de se trouver seul un poste de reclassement ailleurs dans l’entreprise. Le salarié a souvent été remplacé pendant son absence, l’organisation a été modifiée, l’entreprise ne s’est pas arrêtée de tourner, et la situation du retour n’est pas évidente à gérer pour le convalescent »
Maître Pierre Vignal, cofondateur du cabinet Komitê
Article rédigé par Charlotte de Saintignon