En 2023, 33 % des salariés français ont pratiqué le télétravail au moins une fois par semaine (Statista). Le recours de plus en plus fréquent à ce dispositif conduit logiquement au développement d’une règlementation et d’une jurisprudence spécifiques.
Le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe (C. trav. art. L. 1222-9).
Le rôle du CSE
Le CSE peut être appelé à conclure un accord d’entreprise sur le télétravail, conformément aux dispositions du Code du travail qui lui permettent de négocier des accords collectifs (C. trav. art. L. 2232-23-1). Le plus souvent, l’instance joue un rôle consultatif, lorsque l’employeur envisage d’élaborer une charte portant sur le télétravail. Par ailleurs, de nombreuses conventions collectives associent le CSE au contrôle du télétravail dans l’entreprise. À titre d’exemple, un accord du 8 septembre 2021 annexé à la convention collective de la fabrication et du commerce des produits à usage pharmaceutique, parapharmaceutique et vétérinaire prévoit ceci : « Un bilan annuel relatif au télétravail sera présenté au CSE, lorsqu’il existe, et sera intégré à l’un des bilans ou rapports annuels obligatoires. » Enfin, outre son concours à l’analyse des risques professionnels, le CSE, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, doit être consulté sur le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) et ses mises à jour (C. trav. art. L. 4121-3-1). Or, en matière de télétravail, les risques psychosociaux ne doivent pas être négligés : isolement, surcharge ou sous-charge de travail, absence de déconnexion, etc.
Le remboursement des frais
Le Code du travail ne prévoit pas d’obligation de prise en charge, par l’employeur, des coûts découlant directement de l’exercice du télétravail (abonnements, communication, électricité, etc.). Pour la jurisprudence, la règle générale est la suivante : les frais, qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur, doivent lui être remboursés sans pouvoir être imputés sur sa rémunération. Cette prise en charge est obligatoire, même lorsque la loi, la convention collective ou le contrat de travail sont muets sur la question (Cass. soc. 25-3-2010, n° 08-43.156). La Cour de cassation n’a cependant pas statué sur le cas précis des frais engagés par le télétravailleur. Pour la cour d’appel de Versailles, la prise en charge des frais dans le cadre du télétravail, y compris en cas de circonstances exceptionnelles comparables à la crise sanitaire, est obligatoire pour l’employeur (Versailles 21-3-2024, RG n° 22/01810). À l’inverse, la cour d’appel de Paris (CA Paris, 3-4-2024, RG n° 21/07292) vient de juger que les articles L. 1222-9 et suivants du Code du travail ne prévoient pas l’obligation, pour l’employeur, de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du home office. Il résulte cependant des faits de cette affaire que le télétravail n’était pas obligatoire pour le salarié concerné. La Cour de cassation pourrait donc adopter la solution de la cour d’appel de Versailles en présence d’un salarié contraint de télétravailler. Sur le plan de la paie, le Bulletin officiel de la Sécurité sociale (BOSS) détaille les modalités d’évaluation au réel (ou au forfait) des frais de télétravail considérés comme des frais professionnels exclus de l’assiette des cotisations (BOSS AN-FP, § 1750 et s).
L’indemnité d’occupation
Si la Cour de cassation n’a pas statué sur la prise en charge des frais de télétravail, elle s’est déjà prononcée sur l’indemnité d’occupation due au salarié en home office (cette indemnité étant distincte du remboursement des frais). Ainsi, ce dernier contraint d’occuper son domicile à des fins professionnelles en raison de l’absence de mise à disposition d’un local professionnel par l’employeur peut prétendre à une indemnité dont le montant dépend du degré de sujétion subi, lequel relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. soc. 8-11-2017, n° 16-18.499). Il en va de même en cas de télétravail sur demande du médecin du travail, même si un local est à la disposition du salarié (CA Paris 21- 12-2023, n° 20/05912). En dehors de ces deux hypothèses, aucune indemnité n’est due à l’employé s’il demande à travailler à domicile alors qu’un local professionnel est effectivement mis à sa disposition (Cass. soc. 4-12-2013, n° 12-19.667). S’agissant du montant de l’indemnité d’occupation, aucun critère d’évaluation n’est défini par les textes et la jurisprudence. Son montant peut tenir compte de la contrainte que représente, pour le salarié, le stockage du matériel professionnel (Cass. soc. 8-11-2017, n° 16-18.499). L’indemnité peut aussi être fixée en considérant, si tel est le cas, la perte de jouissance d’une partie du domicile. Dans tous les cas, l’indemnité d’occupation de la résidence privée est soumise à cotisations et contributions sociales. Elle doit donc figurer sur le bulletin de paie.
Le reclassement sur un poste en télétravail
Il appartient à l’employeur de proposer au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à celui précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. Après avoir relevé que le médecin du travail avait précisé (dans l’avis d’inaptitude puis en réponse aux questions de l’employeur) que le salarié pourrait prendre un poste en télétravail à son domicile avec un aménagement approprié, la cour d’appel en a déduit – sans être tenue de rechercher si le home office avait été mis en place au sein de la société dès lors que l’aménagement d’un poste en télétravail peut résulter d’un avenant au contrat de travail – que l’employeur n’avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement (Cass. soc 29-03-2023, n° 21-15.472). Il est donc acquis que le télétravail peut constituer une solution de reclassement en matière d’inaptitude.
Article rédigé par Maître Xavier Berjot, Sancy Avocats