Pour lutter contre les stéréotypes visant les cheveux blonds, crépus ou roux, ou encore les personnes chauves, une proposition de loi entend inscrire dans le Code du travail un nouveau critère de discrimination… Au point de couper les cheveux en quatre ?
Peut-on se rendre au travail coiffé comme on le souhaite ? Trancher une telle question impose au préalable de démêler tous les intérêts en cause ; notamment la liberté individuelle du salarié ainsi que le droit de l’employeur de fixer certains standards. Outre les éventuelles régulations liées à l’hygiène ou à la sécurité, une entreprise est ainsi en droit d’exiger qu’un informaticien dont la mission consiste à intervenir chez des clients extérieurs ne porte pas une crête iroquoise1. Entre les choix personnels, voire intimes de l’un, et les exigences du second, tout est dans la nuance, tant la question de l’apparence physique est sensible.
Celle-ci figure expressément parmi les 25 critères de discrimination prohibés par le droit du travail2, aux côtés du sexe, des opinions politiques, des activités syndicales ou de la domiciliation bancaire. Le critère de l’apparence physique est pourtant très peu utilisé dans les contentieux, ainsi que l’a relevé le Défenseur des droits dans une décision de 20193, en soulignant, d’une part, qu’il y a des difficultés à rapporter la preuve d’une telle discrimination et d’autre part, que les biais cognitifs liés à l’apparence physique d’une personne ne sont pas encore perçus comme une atteinte à ses droits.
La spécificité de la discrimination capillaire
On peut aussi considérer que la notion « d’apparence physique » est encore trop vague pour que les professionnels du monde judiciaire s’y engouffrent et s’en emparent à bras-le-corps. Hormis quelques décisions isolées sur des salariés masculins aux cheveux longs pour qui la promotion professionnelle a été conditionnée à un passage sous la tondeuse4, les décisions sont rares. Appelée à se prononcer sur les tresses africaines d’un steward d’Air France, la Cour de cassation a conclu à l’existence d’une discrimination, non pas sur l’apparence physique justement, mais à raison du sexe, cette coiffure étant autorisée pour le personnel féminin5. C’est cet inconfort que plusieurs députés voudraient atténuer avec une proposition de loi, adoptée le 28 mars 2024 par l’Assemblée nationale puis transmise au Sénat, qui ajoute dans les textes que la discrimination sur l’apparence physique, « notamment capillaire », est prohibée. Dans le rapport du parlementaire guadeloupéen Olivier Serva, la situation des personnes aux cheveux crépus est largement évoquée en faisant état des répercussions constatées sur la santé, du fait des traitements chimiques utilisés pour altérer la texture du cheveu.
Le rapport s’appuie sur plusieurs études menées outre-Atlantique selon lesquelles deux tiers des femmes noires se lissent les cheveux pour accroître leur employabilité avant un entretien d’embauche. Et il rappelle aussi qu’à la télévision française, les cheveux de l’actrice, Stéfi Celma, ont pu être qualifiés de « cauchemar de toutes les coiffeuses », tandis qu’il a été soutenu que le joueur de football, Bradley Barcola, ne pouvait décemment pas pratiquer son sport avec des tresses africaines.
Des répercussions essentiellement symboliques
Cela étant, les parlementaires à l’origine de ce texte reconnaissent que l’arsenal juridique existant interdit déjà les discriminations capillaires, puisqu’elles sont de facto incluses dans le critère de l’apparence physique. Mais d’après eux, le faible recours des justiciables à ce motif rend nécessaire l’ajout de précisions complémentaires dans les textes.
On peut toutefois émettre quelques réserves sur cette conclusion car, au fond, aucune personne victime de discrimination en raison de la texture ou de la couleur de ses cheveux (ou même de leur absence s’agissant des personnes chauves) ne s’est tournée, désespérée, vers le Code du travail en déplorant que le sujet de la discrimination capillaire n’y soit pas gravé dans le marbre ; les « punks » des années 80-90 ayant pu connaître des désagréments similaires sur le marché de l’emploi.
À nos yeux, le véritable frein à l’émergence d’un contentieux plus développé relève en fait de la nécessité de disposer d’éléments probatoires pour établir l’existence d’une discrimination. Même avec un régime de preuves aménagé (cf. encadré), la personne qui allègue avoir subi une forme de distinction illicite est tenue de présenter des indices quant aux raisons pour lesquelles elle estime avoir été discriminée.
Or, lorsqu’il est question d’apparence physique, on est très souvent sur le terrain du non-dit, du stéréotype et du biais – parfois inconscient – qui pousse à considérer que les longs cheveux soyeux sont le signe manifeste que l’on a affaire à une personne délicate, minutieuse et soignée, là où des racines apparentes donnent une impression de négligé.
En définitive, et comme le reconnaît le député Olivier Serva, cette proposition de loi revêt des vertus symboliques, sans être révolutionnaire.
1. CA Rennes, 6 septembre 2005, 04/00583.
2. Article L. 1132-1 du Code du travail.
3. Décision-cadre, 2 octobre 2019, n° 2019-205. 4. CA Rennes, 12 octobre 2011, 10/00985.
5. Cass. soc., 23 novembre 2022, 21-14.060.
Article rédigé par Julien Massillon, avocat, et Alexandre Barbotin, avocat associé chez Greenwich Avocats