
Rendez-vous attendu par les salariés, la négociation annuelle obligatoire NAO n’est pas toujours à la hauteur des espoirs et revendications. L’entreprise est décisionnaire mais un bon argumentaire et des négociateurs avisés aident à obtenir un résultat. Le CSE peut mettre des atouts de votre côté en alimentant les équipes syndicales qui ne manqueront pas de préparer les échanges avec l’employeur.
Ce n’est que depuis la loi Auroux du 13 novembre 1982, sur la négociation collective, qu’existe l’obligation pour les entreprises de négocier périodiquement les salaires et la durée du travail dans le cadre de la NAO, la négociation annuelle obligatoire.
NAO : quelques rappels utiles
Au fil du temps et des réformes législatives, les thèmes de la rémunération et de l’épargne salariale sont aujourd’hui regroupés dans le premier bloc de négociations avec le temps de travail, en application de la loi Rebsamen du 17 août 2015. En effet, nous n’aborderons ici que « cette » négociation obligatoire alors que deux autres blocs de négociations obligatoires existent : la QVCT (Qualité de vie et des conditions de travail), et pour les entreprises de plus de 300 salariés, la GEPP (Gestion des emplois et des parcours professionnels).
Bien qu’obligatoire, la NAO n’intervient pas dans toutes les entreprises car le préalable est la présence d’une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives d’une part, et la désignation d’au moins un délégué syndical d’autre part. En pratique, la négociation s’impose dans les entreprises de 50 salariés et plus, seuil de désignation des délégués syndicaux. Mais elle peut également avoir lieu dans celles de moins de 50 salariés si une convention ou un accord collectif prévoit qu’un membre élu de la délégation du personnel du CSE soit désigné comme délégué syndical.
Généralement conduite au niveau de l’entreprise, il est possible de la mener sur le plan de l’établissement à condition qu’aucune organisation syndicale représentative ne s’y oppose – cas rare – et que cette négociation soit menée dans tous les établissements avec les seuls représentants des organisations qui y sont représentatives. En l’absence de ces derniers, la négociation sera engagée au niveau de l’entreprise. Aujourd’hui, la NAO peut également être conduite sur le groupe ; ce qui revient à dispenser les entreprises d’engager leurs propres négociations. Mais un accord de méthode est nécessaire. Encore faut-il que cet échelon soit pertinent…
Être convoqué à la NAO
Tout commence par une convocation et c’est à l’employeur que revient cette initiative, douze mois au plus, après la dernière négociation. Le point de départ du décompte a été fixé par l’administration à partir de la date du début de la dernière NAO, soit la date de la première réunion car parfois, une NAO prend plusieurs semaines ou mois avant d’aboutir ou non. Si l’employeur ne respecte pas son obligation, la négociation s’engage à la demande d’une organisation syndicale. Dans ce cas, il dispose d’un délai de huit jours pour prévenir les autres organisations syndicales et d’un délai de quinze jours pour convoquer la réunion. Enfin, l’employeur qui persiste à ne pas ouvrir les négociations s’expose à des sanctions pénales. La loi ne précise pas la forme de cette convocation : en pratique, elle s’effectue par l’envoi d’une invitation à une première réunion à destination des délégués syndicaux désignés dans l’entreprise.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, l’employeur organise une première réunion qui permet de préparer la négociation. L’article L. 2442-14 du Code du travail demande que soient arrêtés le lieu et le calendrier de la ou des réunions ultérieures, et les informations que l’employeur remettra aux délégations syndicales. Cette réunion préparatoire est essentielle et malheureusement souvent escamotée. Certaines entreprises dépourvues de représentation syndicale engagent quand même un échange avec le CSE. C’est heureusement possible mais le comité ne peut imposer une négociation sur les salaires bien qu’aborder la question des rémunérations relève de la dimension des conditions de travail, pour laquelle il doit disposer d’une information complète dans la BDESE.
Établir un calendrier de négociation
Le Code du travail n’impose que la tenue de deux réunions et celle dite préparatoire fait office de première entrevue : c’est souvent insuffisant et explique aussi que la première rencontre soit déjà une séance de négociation plutôt qu’une réunion de cadrage. Aussi, définir un calendrier est nécessaire pour organiser les échanges et se donner une chance d’aboutir à un résultat acceptable, tant il est rare que les revendications soient satisfaites sur le champ.
Aucun délai légal n’est imposé entre la convocation des délégués syndicaux et la date de la tenue de la réunion préparatoire, ni entre chaque réunion de négociations, ni encore pour signer l’éventuel accord. Évitez que la NAO tire en longueur mais ne la bâclez pas non plus si les discussions piétinent ou si l’information demandée n’est pas partagée. Pour préparer les séances de négociations, chaque section syndicale dispose, au profit de son ou de ses délégués syndicaux et des salariés appelés à négocier, d’un crédit global spécifique à répartir dans la limite de dix heures par an dans les entreprises d’au moins 500 salariés, et de quinze heures par an dans celles d’au moins 1 000 salariés. Il n’est donc pas superflu de chercher à négocier un crédit d’heures supplémentaires de préparation ou simplement d’en obtenir un dans les entreprises de moins de 500 salariés. Les moyens de la négociation se discutent lors de la première réunion et s’ajoutent alors au crédit légal du DS. Le temps passé à toute négociation par les membres de la délégation salariale est considéré et payé comme temps de travail effectif. Les frais de déplacement et le temps de trajet doivent être pris en charge par l’entreprise lorsque la négociation nécessite le déplacement des membres de la délégation syndicale. À noter que négocier en visioconférence n’est peut-être pas la meilleure façon de peser dans la balance.
À retenir : La délégation salariale
Chaque délégué syndical (DS) peut être accompagné par un salarié : on ne saura que trop conseiller de ne pas aller seul en NAO ! Si un même syndicat dispose de plusieurs DS, la délégation en comprend au moins deux (+ deux salariés au maximum). Et s’il n’existe qu’un seul DS dans l’entreprise car seul un syndicat est représentatif, il pourra être accompagné par deux salariés. Bien sûr, l’employeur peut accepter des délégations plus larges. C’est un point à discuter d’emblée ! Ce dernier ou son représentant peut se faire assister sans dépasser le nombre de représentants du personnel évidemment.
Obtenir des informations utiles
Il n’y a pas de liste exhaustive définissant les informations à fournir aux négociateurs. Cela implique pour les organisations syndicales de lister celles qu’ils estiment nécessaires pour préparer la NAO. Toute négociation repose sur un principe de loyauté qui commence par réduire l’asymétrie de l’information : n’hésitez pas à le rappeler !
Votre exigence minimale sera de disposer d’une Base de données économiques sociales et environnementales (BDESE) à jour. Celle-ci doit contenir des informations détaillées sur les rémunérations, et sur la situation économique et financière de l’entreprise, notamment des données relatives aux investissements, à la sous-traitance et aux résultats de l’entreprise. La NAO œuvre pour l’évolution des rémunérations en s’attachant aux résultats de l’entreprise, à la richesse produite et au partage de la valeur ajoutée. Autrement dit, négocier sur les salaires et l’épargne salariale nécessite de partir concrètement des données économiques et financières concernant l’entreprise. Bien sûr, on se rappellera la dernière consultation sur la situation économique et financière de la société et les délégations se replongeront idéalement dans le rapport de leur expert-comptable. Quel gâchis de ne pas mieux exploiter les travaux de vos experts ! Leurs analyses sont de puissants atouts pour construire vos revendications et appuyer vos argumentations. Rappelez-vous que l’employeur n’a que rarement ou mollement contesté votre expert, pourquoi est-il plus catégorique avec vous ? L’entreprise évolue dans un secteur concurrentiel et n’est pas hermétique aux aléas économiques. Certes. Dans ce cas, demandez alors que l’employeur partage ses données avec celles d’entreprises comparables et vous démontre à quel point vous seriez « au-dessus du marché », pour reprendre un poncif utilisé afin de vous refuser votre revendication. Le syndicat saura aussi vous situer en partageant des informations sectorielles et régionales : passez par l’union locale avant d’entrer en NAO !
Élaborer ses revendications
Ce n’est plus le temps de tergiverser : le calendrier est arrêté et les informations sont disponibles. Vos demandes pourront s’appuyer sur l’évolution du chiffre d’affaires, du bénéfice ou des pertes constatées sur les dernières années, de la part des investissements nécessaires, de la prise en compte des affectations pour les actionnaires ou associés de l’entreprise, des prévisions économiques et des orientations stratégiques. Elles varieront aussi selon la situation des salaires au niveau de la branche mais aussi de la grille salariale pratiquée : au fait l’avez-vous ? Y en a-t-il une qui a été diffusée ? Que répond l’employeur ?
Cette année, l’entreprise ne manquera pas de dire que l’inflation est derrière nous et que la situation nationale incertaine pèse sur l’activité. Mais avez-vous mesuré le déficit de pouvoir d’achat de ces dernières années marquées par une forte inflation ? Comment s’en est tirée l’entreprise ? Les actionnaires ? Toutes les entreprises n’auront pas opéré de distribution record de dividendes à l’instar de celles du CAC 40, et certaines connaissent de vraies difficultés. Pour autant, savez-vous exactement quelle est la marge de manœuvre et quels sont les choix stratégiques de l’entreprise ? Alors irez-vous revendiquer un simple rattrapage du pouvoir d’achat perdu ou vos demandes se situeront-elles au-delà ?
Le saviez-vous ? En matière d’heures consacrées à la NAO
Chaque délégué syndical bénéficie de :
▪12 heures par mois et par délégué dans les entreprises de 50 à 150 salariés ;
▪18 heures par mois dans celles qui emploient de 151 à 499 salariés ;
▪24 heures par mois dans celles qui recensent au moins 500 salariés.
Engager la négociation
La négociation doit être réelle et loyale, ce qui signifie que l’employeur doit être proactif et ne pas se contenter de refouler les revendications. La loyauté exige de les examiner, de les discuter et de proposer. Tant que la négociation est en cours, l’entreprise ne peut pas prendre, dans les matières traitées, de décisions unilatérales sauf si l’urgence le justifie. Cette interdiction, d’ordre public, n’empêche pas cependant l’employeur de prendre certaines décisions soit individuelles, soit déjà programmées.
Pour les délégations syndicales, cela tombe peut-être sous le sens, mais dans le feu de l’action, on oublie parfois qu’un peu de méthode porte ses fruits. Partager l’information en amont ne s’improvise pas et la réunion préparatoire sera plus efficace si la collecte a été préalable. Préparer soigneusement la négociation invite à acquérir une bonne connaissance du contexte de l’entreprise, du secteur d’activité, de l’économie en général. Votre argumentation sera plus fournie, vous irez sur le terrain de votre interlocuteur en faisant preuve d’écoute. Comprendre les intérêts de l’autre partie, ses priorités, identifier ses marges de manœuvre vous aideront à rebondir. On parlera d’écoute active, un point clé de toute négociation pour que le processus n’échoue pas.
La hiérarchisation de vos demandes est aussi importante pour éviter de se présenter en ordre dispersé. Reconnaissons que ce n’est pas le plus aisé puisque les priorités ne sont pas nécessairement les mêmes pour chaque délégation syndicale, alors que l’employeur n’est pas confronté à cette pluralité. Sans parler forcément d’intersyndicale, disposer d’un socle commun est toujours un atout même si chaque DS ne place pas le curseur au même niveau.
La communication est également une dimension importante de la négociation : ni conclave, ni confidentialité excessive. La NAO concerne tous les salariés et ceux-ci doivent pouvoir prendre connaissance des avancées, des blocages ou d’éventuelles réorientations des revendications. Informer les collaborateurs durant le processus est à la fois l’assurance de rester en phase avec ceux que vous représentez et la possibilité, en cas de besoin, de faire entendre à l’employeur qu’il doit faire de vraies propositions. Les DS avisés savent que tout négociateur doit pouvoir faire des concessions sur ses attentes pour que la négociation avance. Donc mieux vaut s’y préparer en identifiant vos points incontournables plutôt qu’être pris de court. La patience fait aussi partie des qualités du négociateur.
Bon à savoir :
Les négociations obligatoires sont au nombre de deux ou trois selon l’effectif. À défaut d’accord collectif aménageant la périodicité sur quatre ans au plus, l’employeur engage la négociation sur :
▪ la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée chaque année ;
▪ l’égalité professionnelle et la qualité de vie et des conditions de travail, chaque année ;
▪ la gestion des emplois et des parcours professionnels dans les entreprises d’au moins 300 salariés, tous les 3 ans.
Accord ou PV de désaccord ?
L’engagement des négociations n’implique pas de signer un accord : le législateur ne peut pas exiger d’en conclure un, pas plus que les délégués syndicaux d’ailleurs ! Et si la négociation aboutit, celui-ci, pour être valide, devra être formalisé par écrit et signé par l’employeur et les organisations syndicales, représentant plus de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires du CSE. Si l’accord n’est pas majoritaire mais qu’un ou plusieurs DS le signe(nt) en se prévalant d’au moins 30 % des suffrages exprimés en leur faveur, les signataires peuvent aussi demander la consultation des salariés dans le délai d’un mois suivant la signature, pour valider l’accord et permettre son entrée en vigueur. À défaut d’une telle demande, l’employeur peut aussi souhaiter la consultation des employés. Le référendum des salariés doit être organisé dans les deux mois s’il n’est pas possible, dans les huit jours qui suivent la demande de consultation par les syndicats ou par l’employeur, de réunir plus de 50 % en ralliant d’autres syndicats.
L’accord collectif doit être donné, accompagné du procès-verbal d’ouverture des négociations portant sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, comprenant les propositions respectives des parties qui attesteront de l’engagement de négociations loyales et sérieuses. Il doit être déposé sur la plateforme TéléAccords du ministère du Travail (DREETS) et au greffe du conseil de prud’hommes du lieu où il a été conclu. L’accord NAO est applicable, sauf stipulations contraires, à partir du jour qui suit son dépôt.
En l’absence d’accord à l’issue de négociations, un procès-verbal de désaccord sera rédigé. Ce dernier doit présenter les propositions de chaque partie dans leur dernier état et les mesures unilatérales que l’employeur entend appliquer. Ce procès-verbal doit aussi être déposé, à l’initiative de la partie la plus diligente, généralement l’employeur, sur la plateforme de TéléAccords, et au greffe du conseil de prud’hommes. Outre son caractère obligatoire, l’intérêt du PV de désaccord est d’expliquer aux salariés les raisons de l’échec de la négociation, et de rappeler les points de désaccord et les positions de chaque partie. Ajoutons qu’en l’absence de consensus sur l’égalité entre les femmes et les hommes, la négociation sur les salaires devra prévoir des mesures visant à supprimer les écarts de rémunération constatés, et les différences de déroulement de carrière entre femmes et hommes le cas échéant. Si aucun arrangement n’est alors trouvé, l’employeur devra établir un plan d’action annuel pour assurer l’égalité professionnelle.
Article rédigé par Gregory Sand et Ronan Darchen
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