Juridique

Alcool, tabac, vapotage… & travail ? Un ménage qui ne se fera pas toujours à quatre !

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Le monde entier nous l’envie, il est l’un des rares articles du Code du travail que nos têtes pensantes ne trouvent pas superflu : l’article R. 4228-20 autorise la consommation d’alcool durant les repas sur le lieu de travail. En revanche, pour vapoter ou en griller une, c’est dehors que ça se passe…

L’article R. 4228-20 du Code du travail doit se lire à l’envers. Celui-ci dispose en effet qu’aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré, n’est autorisée sur le lieu de travail, ce qui implique, a contrario que ces quatre boissons peuvent être consommées.

Le Code du travail au soutien des viticulteurs

S’il est rare de trouver du poiré, la cantine de l’entreprise peut ainsi très bien proposer du vin et de la bière au déjeuner, et pourquoi pas du cidre à la Chandeleur. À noter cependant, il ne s’agit pas d’un permis de consommer avec excès, puisque l’article R. 4228-21 du Code rappelle qu’il est interdit de laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d’ivresse.

Boire son petit verre le midi est donc un droit, et, comme tout droit, l’employeur ne peut lui apporter des restrictions que sous certaines conditions. Il peut en effet paraître compréhensible que certaines entreprises souhaitent limiter, voire interdire la consommation d’alcool en leur sein.

L’encadrement de la consommation de boissons alcoolisées relève du règlement intérieur. Sur le plan formel, l’adoption d’une restriction doit être précédée de la consultation du CSE, et faire l’objet d’un affichage dans les locaux ainsi que d’un dépôt auprès de l’Inspection du travail et du Conseil de prud’hommes. Sur le fond, toute atteinte à un droit ou à une liberté doit respecter le double principe de justification et de proportionnalité. Le droit de boire est ainsi analysé de la même manière que n’importe quelle liberté publique. L’employeur doit justifier l’interdiction ou les limitations de la consommation par des nécessités liées à la sécurité, et les mesures adoptées doivent être proportionnées à l’objectif recherché. Ainsi, les restrictions peuvent, par exemple, concerner les postes de salariés amenés à conduire des machines dangereuses (ou à conduire tout court), ou exerçant des activités pour lesquelles la sobriété semble préférable (vérifiez que le règlement intérieur de la clinique où vous allez vous faire opérer interdit la consommation pour le personnel médical…). L’interdiction peut même être générale, ou du moins étendue à un site entier, si les questions de sécurité le justifient (typiquement, dans une usine). Le Conseil d’État a ainsi jugé qu’en cas de danger particulièrement élevé pour les salariés ou pour les tiers l’employeur pouvait interdire toute imprégnation alcoolique des salariés (arrêt du 14 mars 2022, n°434343). Ainsi, selon la configuration de son entreprise, l’employeur peut opter pour une interdiction totale ou une restriction ciblée, et déterminer son champ d’application.

Quand l’employeur fait souffler dans le ballon

Que l’alcool soit ou non interdit, l’employeur peut prévoir, à travers le règlement intérieur, une procédure de contrôle des salariés. La Cour de cassation est venue préciser les contours de celle-ci. Le contrôle doit ainsi concerner uniquement les salariés dont l’état d’ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger (pas de contrôle général), et les modalités du test doivent en permettre la contestation. En d’autres termes, le salarié positif doit pouvoir bénéficier d’un second test. Pour effectuer le contrôle, l’employeur peut recourir à un alcootest, en revanche, il ne peut demander au médecin du travail de réaliser un test sanguin.

À noter, le règlement intérieur doit être précis. S’il limite les contrôles aux seuls salariés présentant un état d’ébriété, l’employeur ne peut valablement tester un salarié en apparence sobre. Le test et la sanction qui s’ensuivrait risqueraient d’être invalidés en justice.

Sur la question des sanctions, d’ailleurs, un employeur peut refuser à un salarié en état d’ébriété d’accéder à son poste. Si le règlement interdit la consommation d’alcool, le refus d’accès peut également concerner un salarié dont le test est positif même si celui-ci semble sobre (certains tiennent mieux que d’autres…). L’employeur pourra effectuer une retenue sur salaire, et même sanctionner le salarié sous l’emprise de l’alcool.

La question : peut-on, sans test, refuser l’accès à l’entreprise à un salarié visiblement en état d’ébriété ? L’article R. 4228-21 du Code du travail le permet, et ce même si le règlement intérieur ne prévoit rien.

Pour fumer, il faut sortir

Certains grands-parents aiment raconter leurs rencontres avec le médecin du travail dans les années 1970, où, entre deux bouffées de gauloise, le praticien leur disait qu’il était préférable d’éviter de fumer. Aujourd’hui, les médecins ne fument plus en rendez-vous, et les salariés ne fument plus sur leur lieu de travail. La règlementation du tabac et du vapotage relève du Code de la santé publique (ou CSP) et, même si les Français restent associés dans l’image d’Épinal à la cigarette, le tabac est interdit en entreprise. L’article R. 3512-2 du CSP prévoit ainsi qu’il est interdit de fumer dans tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail. Cela va de l’atelier collectif au bureau individuel du PDG. En outre, l’employeur doit apposer dans l’entreprise des panneaux rappelant l’interdiction de fumer, qu’il ne peut se limiter à installer à l’entrée des locaux. L’employeur qui ne met pas en place la signalisation, ou qui ne s’assure pas du respect de l’interdiction de fumer, encourt une amende de 750 euros.

Pour le vapotage, l’interdiction est légèrement moins stricte. Si vapoter est interdit dans les lieux de travail collectifs selon l’article L. 3513-6 du CSP, il est possible d’utiliser une cigarette électronique dans un bureau individuel, ou dans un lieu accueillant du public (comme le hall de l’entreprise).

Le tabagisme passif, véritable enjeu pour les entreprises

Ceux qui regardaient la télé dans les années 2000 se souviennent peut-être de ces publicités sur la prévention du tabac, dans lesquelles une voix off égrenait le nombre de cigarettes fumées par un salarié anonyme, puis concluait que c’était beaucoup, surtout lorsqu’on ne fumait pas. Les coupables ? Les cigarettes fumées par ses collègues.

Le tabagisme passif est un sujet sérieux pour les entreprises depuis que la Cour de cassation a jugé qu’un salarié exposé aux fumées de tabac pouvait engager la responsabilité de son employeur. Même si celui-ci ne démontrait pas la survenance d’une pathologie liée à la cigarette, le fait d’être un fumeur passif constitue un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Ce manquement est suffisamment grave pour justifier une prise d’acte du salarié (arrêt du 6 octobre 2010 n°0965.103). Si la jurisprudence sur la prise d’acte s’est assouplie pour les employeurs, un salarié exposé au tabac pourra toujours invoquer un préjudice lié au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Compte-tenu de sa responsabilité, l’employeur peut sanctionner les salariés contrevenant à l’interdiction de fumer. La Cour de cassation a d’ailleurs déjà validé le licenciement pour faute grave d’un employé pris en flagrant délit sur son lieu de travail (arrêt du 1er juillet 2008, n°06-46.421 ; précisons tout de même que le fumeur impénitent travaillait dans une cartonnerie, les risques de tuer ses collègues dépassaient la seule hypothèse du tabagisme passif). En général, un avertissement sera pleinement adapté et justifié.

Enfin, fumer dans un lieu où cela est interdit fait encourir au fumeur une amende de 68 euros. Au rythme où cela va, ça risque tout de même bientôt d’être moins cher que le prix du paquet…

Article rédigé par Pierre Corbier, avocat, Cabinet Komitê Avocats

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