
Les entreprises sont tenues d’aménager les espaces et les outils de travail pour permettre aux personnes en situation de handicap d’accéder au marché de l’emploi ; cette règle trop peu appliquée pouvant donner lieu à de sévères condamnations.
Si l’obligation de reclassement à la charge de l’employeur fait désormais partie des notions largement reconnues en droit du travail, l’obligation d’aménagement raisonnable connaît une bien moindre notoriété. Apparue dans les textes français en 2008 sous l’impulsion de la législation européenne, elle fait peser sur l’employeur la responsabilité de prendre les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs en situation de handicap d’accéder à un emploi, de le conserver, de l’exercer, d’y progresser ou de bénéficier d’une formation adaptée1.
« Changer de regard »
Cette mesure a pour objectif de parvenir à une égalité réelle, mais les résultats ne sont pas encore au rendez-vous. D’après les statistiques de la Dares, en 2022, 38 % des personnes dont le handicap a été reconnu avaient un emploi, alors que le taux d’emploi était en moyenne de 68 % pour l’ensemble de la population française. Les entreprises comme les salariés ne semblent pas s’être emparés pleinement de ce dispositif dont la vocation est pourtant de faire bouger les mentalités.
Ainsi que les athlètes paralympiques de Paris 2024 l’ont répété avec insistance, il n’y pas d’héroïsme à faire du sport quand on est en situation de handicap : l’évolution ne pourra intervenir que si la société « change de regard », cesse de voir la différence comme un obstacle et envisage plutôt d’adapter l’environnement social, technologique et technique pour que toutes et tous puissent de façon équitable postuler un emploi ou s’y maintenir.
Pour l’heure, c’est l’aspect répressif de la notion d’aménagement raisonnable qui prend le dessus. Une société de nettoyage a par exemple été condamnée pour licenciement discriminatoire pour ne pas avoir satisfait cette obligation légale. Dans leur décision, les juges de la cour d’appel de Douai2, dont le raisonnement a été validé par la Cour de cassation3, ont relevé que l’entreprise n’avait pas réalisé d’étude de poste et n’avait mis en œuvre aucun aménagement du poste de travail. Elle n’avait pas non plus consulté le service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (Sameth) ; ce que le salarié avait suggéré, sans succès. En refusant à ce point de modifier son fonctionnement interne pour permettre l’intégration du salarié, cet employeur a commis une discrimination.
Marges de manœuvre
L’entreprise a pourtant toute une palette d’outils à sa disposition pour définir des solutions concrètes : un changement d’horaires, un poste reconfiguré ou un équipement adapté peuvent suffire à lever les barrières ; la limite étant que cela ne fasse pas peser sur l’employeur une charge disproportionnée qui déstabiliserait l’organisation dans son ensemble. Un éclairage adéquat, un plan de circulation accessible, des outils ergonomiques ou le recours à des logiciels spécifiques et des missions adaptées individuellement sont autant d’outils auxquels les employeurs peuvent faire appel.
Les élus du CSE peuvent, quant à eux, repérer les difficultés que rencontre un salarié dans l’exercice de ses fonctions, se tourner vers la direction dès l’apparition de signaux d’alerte ou proposer des mesures pragmatiques, en concertation avec la médecine du travail ou des organismes spécialisés. Leur proximité leur permet de veiller au suivi des aménagements décidés et de vérifier que la prise en charge correspond aux besoins réels du salarié. Par ailleurs, en tant qu’interlocuteurs de confiance, ils peuvent accompagner les collaborateurs dans leurs démarches, tout en préservant la confidentialité des informations médicales ou personnelles.
Adapter sans compromettre l’organisation
Lorsqu’il est correctement appliqué, l’aménagement raisonnable constitue un compromis intelligent entre les besoins individuels et le bon fonctionnement de l’entreprise. Les directions qui franchissent ce pas y trouvent souvent un bénéfice collectif : fidélisation du personnel, réduction de l’absentéisme, développement d’une marque employeur soucieuse d’équité. De leur côté, les salariés concernés gagnent en sérénité et en reconnaissance professionnelle. Les représentants du personnel, pivot de ce processus, ont tout intérêt à encourager un dialogue régulier avec la hiérarchie et à rappeler que l’éventuel surcoût peut être réduit par des aides externes ou des subventions.
Au bout du compte, l’aménagement raisonnable se présente comme une voie d’avenir pour harmoniser contraintes individuelles et exigences collectives. Au-delà de l’obligation juridique, c’est un véritable facteur de cohésion qui ancre l’engagement de l’entreprise dans une politique d’égalité et de respect pour chacune et chacun.
1. Article L. 5213-6 du Code du travail
2. CA Douai, 29 juin 2018, 16/04441
3. Cass. soc., 3 juin 2020, 18-21.993
Article rédigé par Julien Massillon, avocat, et Alexandre Barbotin, avocat associé, Greenwich Avocats
- Adapter
- Aides
- Aménagements
- Condamnations
- Contraintes individuelles
- CSE
- Discrimination
- Élus
- Emploi
- Employeurs
- Entreprises
- Environnement social
- Étude de poste
- Exigences collectives
- Fonctionnement
- Formation
- Handicap
- Intégration
- IRP
- Législation
- Logiciels
- Médecine du travail
- Mesures
- Missions
- Obligation juridique
- Obligation légale
- Obligations
- Outils
- Règle
- Règlementation
- Salariés
- Signaux d'alerte
- Solutions
- Subventions
- Technique