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Le déploiement de l’IA interrompu à l’initiative du CSE

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Le développement de l’intelligence artificielle bouleverse en profondeur le monde de l’entreprise, soulevant de nombreux défis et suscitant des controverses. C’est dans ce contexte que le règlement n°2024/1689 du 13 juin 2024 encourage les employeurs à faire preuve de prudence et à privilégier le dialogue social lors de l’introduction de cette technologie.

Par une décision en référé rendue le 14 février 2025 (TJ Nanterre, 14 février 2025, n°24/01457), le tribunal judiciaire de Nanterre a rappelé que l’introduction de nouvelles technologies nécessite la consultation préalable du CSE — une obligation qui s’applique pleinement à l’intelligence artificielle.

Dans un contexte d’innovation technologique rapide, cette affaire met en lumière les tensions et les enjeux auxquels les employeurs seront confrontés.

Dans cette affaire, une entreprise a informé son CSE en janvier 2024, de son projet de déployer de nouvelles applications informatiques intégrant des technologies d’intelligence artificielle.

En réponse, le CSE a réclamé à plusieurs reprises l’ouverture d’une procédure de consultation, conformément à l’article L.2312-8 du Code du travail, relative à l’introduction de ces outils.

Pour rappel, l’article L.2312-8 du Code du travail prévoit que :

« I. – Le comité social et économique a pour mission d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production, notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions.

II. – Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur: 1° Les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ; 2° La modification de son organisation économique ou juridique ; 3° Les conditions d’emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle ; 4° L’introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ; [….]»

De son côté, la société considérait que le déploiement de ces nouveaux outils d’intelligence artificielle relevait d’une simple obligation d’information, sans nécessiter de consultation préalable du CSE.

Face au refus de la société, le CSE a assigné cette dernière en référé le 17 juin 2024, sollicitant une injonction à engager la consultation ainsi que la suspension du déploiement des nouveaux outils. La direction a finalement enclenché la procédure de consultation du CSE le 26 septembre 2024.

Le 19 novembre 2024, estimant que ses prérogatives restaient méconnues, le CSE a saisi le président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond, en vue d’obtenir la suspension du projet de mise en place des outils d’intelligence artificielle.

Il faisait valoir que les applications concernées avaient déjà été mises en œuvre sans attendre la fin de la procédure de consultation, ce qui, selon lui, constituait un trouble manifestement illicite ainsi qu’une entrave à ses attributions.

De son côté, la société soutenait que les outils en question n’étaient qu’en phase d’expérimentation et n’avaient pas encore fait l’objet d’un déploiement effectif, excluant ainsi toute mise en œuvre au sens juridique du terme.

L’arrêt temporaire de la mise en œuvre des technologies d’intelligence artificielle

Le tribunal judiciaire a accueilli favorablement la demande du CSE.

Pour motiver sa décision, il a écarté l’argument de la société selon lequel le projet en cause ne constituait qu’une phase d’expérimentation. Le juge a estimé que cette phase ne pouvait être considérée comme une simple étape préparatoire visant à présenter un projet abouti, mais devait être qualifiée de véritable première mise en œuvre des applications informatiques soumises à consultation.

En l’absence d’avis rendu par le CSE, ce déploiement anticipé a été jugé constitutif d’un trouble manifestement illicite, justifiant la suspension immédiate de la mise en œuvre du projet jusqu’à la clôture de la procédure de consultation.

Bien qu’il s’agisse d’une ordonnance de référé, cette décision appelle les entreprises à la plus grande vigilance : le lancement, même partiel ou qualifié de « phase pilote », d’un dispositif basé sur l’intelligence artificielle ne saurait faire l’économie d’une consultation du CSE lorsque les conditions légales sont réunies.

Si cette affaire marque une première incursion de l’IA dans le contentieux relatif au dialogue social, elle ne constitue pas une surprise. Elle rappelle surtout aux employeurs et aux directions RH l’importance de s’approprier les enjeux liés à l’intelligence artificielle, de se conformer aux nouvelles obligations issues de l’IA Act, et d’anticiper les risques en faisant de cette transition technologique une opportunité de dialogue social structuré et constructif.

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