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Les CSE et l’emploi : Le retour des PSE

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Pas un jour ne passe sans l’annonce d’un projet de licenciements économiques : quand vous lirez cet article, le nombre de suppressions d’emplois en France aura encore augmenté. Loin du « quoi qu’il en coûte » de la crise sanitaire ou du « plein-emploi » fanfaronné pour réduire les droits à l’assurance-chômage, la fin d’année 2024 n’a fait qu’augurer un sombre 1er semestre 2025 pour les salariés et les demandeurs d’emploi.

Délégués syndicaux, CSE, ne restez pas seuls pour défendre l’emploi et accompagner les salariés. Un emploi, c’est vital !

Des chiffres inquiétants

Les annonces de « plans sociaux » s’accumulent. Tout le monde n’aura pas été à la fête au moment de Noël et bien d’autres apprennent l’ouverture de procédures de consultation du CSE en ce début d’année 2025 pour la mise en œuvre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Fin 2024, la CGT dénombrait autour de 300 PSE et annonçait craindre près de 250 000 destructions d’emplois. Aucun secteur d’activité n’est épargné : baisse de la consommation et hausse des prix affectent la grande distribution.

Il n’y a pas que la déroute de Casino. Le PSE d’Auchan supprime plus de 2 400 emplois. Delpeyrat ferme deux abattoirs. L’industrie connaît aussi ses turbulences. Michelin a décidé d’arrêter 2 400 emplois. Delpeyrat ferme deux abattoirs. L’industrie connaît aussi ses turbulences. Michelin a décidé d’arrêter deux usines en France et son PSE porte sur plus de 1 200 salariés. Les équipementiers automobiles Forvia et Valeo détruisent également des centaines d’emplois sur le territoire national. Idem dans le secteur de la chimie !

Le bâtiment et l’immobilier ne sont pas mieux lotis mais parfois moins en vue car les sociétés aux effectifs de moins de 50 salariés y sont nombreuses. Ces salariés n’ont même pas droit à la négociation d’un PSE.

En novembre 2024, le secrétaire national de la CFE-CGC François Hommeril témoignait : le repreneur de l’entreprise Niche Fused Alumina en redressement judiciaire n’a conservé que deux tiers des emplois. Le syndicaliste n’est pas loin de la retraite et ne s’apitoie pas sur son sort mais sa prise de parole pour dire la violence d’un licenciement après vingt-six ans dans une entreprise parle à plus d’un salarié. Les annonces de fermetures de sites se succèdent et les impacts vont au-delà des seuls licenciements directs menaçant fournisseurs et sous-traitants et créant des déserts ici et là car toute la population locale en subit les conséquences. Au 3e trimestre 2023, la Dares enregistrait le double de PSE en comparaison avec la même période de l’année précédente. Hélas, ce n’était qu’un début.

L’Insee a enregistré 25 000 suppressions nettes d’emploi au 3e trimestre 2024 et a assuré que la tendance s’amplifiera en 2025. Nous y sommes ! Le taux de chômage est revenu à 8 %. Les faillites ont été au plus bas pendant le « quoi qu’il en coûte » de 2020 à 2022: certaines organisations ont été sous perfusion, d’autres en ont largement profité. Que penser d’ailleurs des sociétés qui, à l’instar de certains laboratoires pharmaceutiques, dont les résultats ont explosé grâce à la crise de coronavirus, se plaignent depuis 2023 d’une baisse de revenus et de rentabilité pour avancer une compétitivité menacée afin de justifier des délocalisations ? La morosité ambiante sert aussi l’opportunisme.

Les aides, parmi lesquelles les Plans garantis par l’État (PGE) et l’Activité partielle de longue durée (APLD), ont limité les licenciements. Néanmoins, l’addition est à présent pour les salariés et leurs familles. Difficile également de ne pas reconnaître que la dissolution de l’Assemblée et l’instabilité qui en découle ne sont pas des accélérateurs. Tous les territoires sont concernés. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) prévoit 143 000 destructions d’emploi en 2025.

Un chiffre en deçà de celui annoncé par la CGT, mais quand même… Le discours pour la réindustrialisation et la vitrine Choose France ne font-ils qu’illusion ?

Ne restez pas seuls !

Syndicats et CSE sont mobilisés mais il est également essentiel pour les élus d’être bien outillés : formation, assistance juridique et experts sont nécessaires pour aborder un PSE. Ajoutons que toutes les destructions d’emplois ne passent pas par des plans sociaux. Les licenciements économiques de moins de 10 salariés restent une option face à laquelle les élus du CSE se sentent parfois impuissants : procédure accélérée, pas de recours à l’expert-comptable prévu par la loi ni d’incitation à la négociation avec les délégués syndicaux, contrôle à postériori de l’administration du travail… Les salariés visés méritent pourtant la même considération quand ils sont 9 que quand ils sont 12. Alors le comité social économique peut tout de même s’entourer d’un expert pour la préparation de la consultation, qu’il s’agisse d’un juriste ou d’un expert-comptable : le budget de fonctionnement est là pour cela et non pour des goodies d’adieu.

La destruction d’emplois devrait avoir une justification économique mais, au fil des réformes, des outils à la main des DRH ont été créés et le contournement du droit du licenciement économique a été facilité. En effet, la réforme de 2017 et ses tristes ordonnances ont légalisé des moyens de supprimer des emplois en réalité. En témoignent les ruptures conventionnelles collectives (RCC). Idem en ce qui concerne les accords de performance collective (APC) quand les conditions imposées aux salariés par l’accord sont intenables, qu’il s’agisse d’une baisse de salaire, d’une mobilité géographique ou d’une augmentation du temps de travail sans contrepartie. Dans ces circonstances, cela conduit finalement l’employé à refuser la transformation de son contrat de travail et à perdre tout bonnement son emploi. Si un APC vient à être signé, mieux vaut que les délégués aient disposé de toute l’information nécessaire en amont pour une prise de décision aussi difficile et que le bénéfice futur tiré des sacrifices d’aujourd’hui revienne aux salariés qui consentiront aux efforts.

Bref, les moyens légaux ou conventionnels sont multiples, les contextes compliqués, les situations tendues et les représentants du personnel se sentent souvent un peu démunis. Pour le comité social et économique confronté à une procédure de plan de sauvegarde de l’emploi, impensable donc de ne pas recourir à l’assistance d’experts. Tout d’abord le CSE ne doit pas se résigner en observant que l’employeur passera outre l’avis défavorable du CSE et contestera les conclusions de son expert s’il ne confirme pas la nécessité de licencier. L’essentiel n’est pas ce qui serait écrit d’avance mais les lignes que vous ferez bouger par vos actions et vos prises de position. Dans ces situations, la perspicacité et la pugnacité de vos experts sont essentielles pour ne pas céder devant les arguments faciles ou les refus de communication d’informations utiles à l’analyse du motif économique ou à l’appréciation des moyens dont disposent l’entreprise et le groupe auquel elle appartient. La réforme Macron de 2017 a circonscrit le motif économique de licenciement au périmètre national mais n’a pas pu faire de même s’agissant des moyens à mobiliser pour préserver l’emploi et accompagner les licenciés avec un Plan de sauvegarde de l’emploi. Quand l’expert ne laisse pas le CSE monter seul au créneau mais l’accompagne devant la Dreets pour expliquer les diversions de l’employeur ou dénoncer une information lacunaire, cela pèse. Idem quand l’expert-comptable ose saisir le juge pour faire constater un empêchement de réaliser convenablement sa mission ; ce qui revient à entraver le droit du CSE à être éclairé sur la situation afin de remettre ses avis. L’instance est alors plus forte.

L’annonce du PSE

Même quand ils s’y attendent, les salariés vivent l’effet d’un véritable coup de massue quand le couperet du PSE « tombe ». L’impact sur la santé est désormais reconnu qu’il s’agisse des licenciés comme des rescapés. Longtemps négligée puis sous-estimée, la prévention des troubles psychosociaux ne peut plus être éludée : les juges ont sanctionné l’administration du travail qui se contentait de vérifier la conformité de la procédure et les mesures d’accompagnement du PSE. Désormais, les entreprises doivent savoir qu’elles sont attendues sur l’ensemble d’une procédure qui ne se limite pas à ce qui est communément appelé le « livre 1 ». Le comité social et économique doit être exigeant sur le volet des conditions de travail. Car c’est aussi là que vous pouvez mettre en évidence le calibrage excessif d’un sureffectif et récupérer des postes. Plusieurs consultations, généralement concomitantes, interviennent et aucune ne doit être bâclée.

La restructuration, sa motivation et l’organisation cible sont décrites dans le « livre 2 » qui correspond à la consultation du CSE sur une réorganisation emportant une compression des effectifs. Les enjeux de santé et conditions de travail, notamment les transferts de charge de travail, font l’objet d’un « livre 4 » en référence à la quatrième partie du Code du travail qui traite de la prévention des risques professionnels. Enfin, le « livre 1 » correspond aux informations obligatoires que l’employeur qui entend procéder à des licenciements économiques doit fournir au CSE parmi lesquelles le plan supposé éviter ou limiter les licenciements et rassemblant les mesures d’accompagnement social. Ne débattre que du « livre 1 » est une erreur car vos leviers pour améliorer le PSE se situent essentiellement dans l’examen préalable des deux autres livres. Mais la direction cherchera à vous emmener immédiatement sur le contenu du PSE au motif que les salariés veulent savoir et qu’il n’est pas possible de les faire attendre plus longtemps. D’ailleurs, dès la première réunion, vous aurez été suppliés de donner un avis favorable à l’ouverture du PIC (ou point information conseil). Le rôle du CSE est fondamental car les élus sont en première ligne tout au long du processus : vous débattez sur la pertinence économique du projet, les alternatives possibles et celles qui n’ont pas été étudiées, l’organisation et la capacité à réaliser le travail demain dans un cadre remodelé tandis que l’employeur voudra circonscrire l’échange à la négociation des mesures sociales et réduire votre audience au motif qu’il négocie un accord majoritaire en parallèle avec les délégués syndicaux de l’entreprise. Autant dire que la représentation du personnel doit être à la fois soudée et bien articulée entre CSE, CSSCT et DS voire CSE central quand la configuration des instances place la consultation à ce niveau.

La « R1 » point de départ

Il n’existe qu’une seule fenêtre de tir pour désigner l’expert si aucun accord de méthode n’a permis d’anticiper son intervention, car la loi précise que le CSE le fait à la 1re réunion convoquée au titre du PSE. Savoir quel expert solliciter quand le CSE n’a pas l’habitude de le désigner par temps calme pour ses consultations annuelles n’est pas évident. Prenez des contacts avant d’entrer dans une zone de turbulences. La procédure de PSE sans calendrier négocié est menée en deux mois quand moins de 100 licenciements sont envisagés : c’est court, et 99 suppressions d’emploi, c’est beaucoup. La négociation d’un accord de méthode est recommandée. Pour autant, l’employeur n’est pas obligé de l’accepter. L’intérêt de cet accord qui ne doit pas être confondu avec celui sur le PSE peut se limiter à définir un calendrier mais aussi donner une visibilité et des moyens à la représentation du personnel. Coordonner des réunions thématiques de négociation après les points approfondis en CSE vaut mieux que résumer en CSE l’après-midi que les négociations avec les DS ont piétiné le matin. Évidemment, obtenir la présence de l’expert en négociation est aussi bénéfique d’autant qu’un juriste de son équipe peut alors vous appuyer.

Pour la 1re réunion d’information et consultation du comité social et économique, l’employeur devra donc fournir un dossier complet comprenant les livres 1, 2 et 4. S’agissant du livre 1, le Code du travail exige une information minimale pour que le délai de consultation puisse commencer à courir et, à la différence des autres consultations, c’est bien la première réunion qui marque le point de départ et non la date de transmission de l’information. L’article L.1233-31 du Code du travail lui impose de fournir notamment la ou les raisons économiques, financières, techniques du projet de licenciement, le nombre de licenciements envisagés, les catégories professionnelles concernées et les critères proposés pour l’ordre des licenciements, le nombre de salariés, permanents ou non, employés dans l’établissement, le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures de nature économique envisagées et le projet de plan de sauvegarde de l’emploi lorsque 10 licenciements ou plus sont envisagés.

N’oubliez pas les salariés !

Bien sûr, les documents seront estampillés « confidentiels » voire porteront votre nom en filigrane pour pister d’éventuelles fuites. Néanmoins, cela ne doit pas vous effrayer et vous interdire de communiquer. Comment d’ailleurs négocier les mesures du plan de sauvegarde de l’emploi sans échanger avec les salariés pour les entendre mais également partager avec eux un point sur l’avancée des discussions ? Autrement dit, s’il est possible que certaines informations, essentiellement financières, revêtent effectivement un caractère confidentiel impliquant que vous ne les divulguiez pas, il est clair que le nombre de suppressions de postes, les services concernés, le calendrier prévisionnel de la restructuration et les mesures d’accompagnement contenues dans le projet initial de l’employeur peuvent et devraient même être mis en débat. Organisations syndicales et CSE ne sont pas privés de communiquer pendant toute la phase de consultation comme de négociation. Les débats de l’Assemblée nationale dès la fin des années 1960 mais également lors de la préparation de la loi de sécurisation de l’emploi et de compétitivité des entreprises de juin 2013 le rappellent. À l’instar de nombreuses jurisprudences qui confirment, d’une part, que les salariés doivent connaître les sujets concernant leurs emplois et leurs conditions de travail, d’autre part, qu’exiger la confidentialité de la totalité des documents soumis au CSE pour sa consultation revenait à les priver de leurs attributions. De fait, être représentant du personnel ne se réduit pas à l’expression collective : il faut évidemment pouvoir rendre compte à ceux que vous représentez et que le collectif de travail puisse réagir.

Article rédigé par Ronan Darchen

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