Si le retour de la claquette-chaussette cet été a pu faire (sou)rire bon nombre d’entre nous, elle a plus sérieusement fait resurgir, dans certaines entreprises, la question du droit pour l’employeur d’atteindre à la liberté des salariés de se vêtir librement.
Si des restrictions sont largement admises pour des motifs de santé et de sécurité, la question de la liberté de se vêtir à sa guise se pose avec davantage de vigueur dès lors que ces restrictions sont fondées sur la préservation de l’image ou de l’intérêt de l’entreprise. Que dit la loi ?
Liberté de se vêtir, une liberté individuelle non fondamentale
Dans une affaire ancienne mais néanmoins célèbre, la Cour de cassation a affirmé que « la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail n’entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales » (Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40273), approuvant ainsi le licenciement d’un salarié qui venait travailler en bermuda malgré le refus répété de ses supérieurs hiérarchiques.
Il ne faut toutefois pas se méprendre. Bien que non fondamental, le choix de la tenue vestimentaire au travail n’en demeure pas moins une liberté individuelle du salarié, de sorte qu’un employeur ne peut y apporter de restrictions que sous certaines conditions.
L’absence de caractère essentiel de la liberté de se vêtir à sa guise a en revanche des incidences sur les sanctions applicables en cas d’abus de l’employeur. Les manquements de ce dernier ne sont pas sanctionnés par la nullité. Dès lors, un salarié dont le licenciement a été prononcé en violation de sa liberté vestimentaire ne pourra pas réclamer devant les tribunaux la nullité de son licenciement et sa réintégration dans l’entreprise, mais seulement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Liberté de se vêtir : restrictions et discriminations
L’article L.1121-1 du Code du travail dispose que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Un employeur peut ainsi imposer ou interdire unilatéralement une tenue vestimentaire dès lors que l’atteinte à la liberté de se vêtir librement au travail est justifiée et proportionnée. Les restrictions peuvent porter sur différents aspects de la tenue (chaussures, vêtements, casquette, bijoux, coiffures, etc.), prendre la forme du port obligatoire d’un uniforme ou encore d’un insigne. Ces obligations peuvent être inscrites dans le règlement intérieur, une note de service, ou dans le contrat de travail. Dans une moindre mesure, elles peuvent parfois résulter des conventions collectives. Leur non-respect peut alors entraîner des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave (Cass. soc., 13 févr. 2008, n° 06-43784).
Il convient d’être particulièrement vigilant étant donné que ces restrictions sont susceptibles de constituer des discriminations. En effet, la tenue vestimentaire peut être rattachée à l’apparence physique, au sexe, voire aux mœurs, lesquels constituent des motifs de discrimination prohibés par la loi (art. L.1132-1 CT). Il a ainsi été jugé que le licenciement d’un serveur en raison du port d’une boucle d’oreille est discriminatoire dès lors que l’employeur a fait référence au sexe de l’intéressé pour considérer qu’il ne pouvait pas tolérer le port de boucles d’oreilles sur un homme (Cass., soc, 11 jan- vier 2012, n° 10-28213). Plus récemment, la Cour de cassation a rappelé que l’interdiction faite aux stewards d’Air France de se présenter à l’embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon, alors qu’il l’autorisait au personnel féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe (Cass. soc., 23 novembre 2022, n° 21-14060).
Atteinte légitime à la liberté de se vêtir : illustrations jurisprudentielles
En cas de litige, il appartient au juge d’apprécier si les restrictions apportées par l’employeur à la liberté de se vêtir sont légitimes (Cass. soc., 18 février 1998, n° 95-43491). Le contentieux relativement abondant en la matière permet d’illustrer les motifs qui peuvent être retenus par l’employeur pour restreindre les droits des salariés :
– le contact avec la clientèle et le port d’un uniforme : un employeur peut imposer à une assistante responsable des réservations dans un grand hôtel de porter un uniforme (Cass. soc., 13 février 2008, n° 06-43784). À l’inverse, il ne peut pas exiger d’une salariée, agent de propreté, de porter la tenue de travail de l’ensemble du personnel de l’entreprise travaillant sur le site du centre commercial où elle est affectée (Cass. soc., 20 juin 2006, n° 04-43067) ;
– le contact avec la clientèle et la tenue correcte : un employeur peut interdire à une salariée en contact avec la clientèle d’une agence immobilière de se présenter au travail en survêtement (Cass. soc., 6 novembre 2001, n° 99-43988). Pour la même raison, il peut imposer à des agents techniques de porter un pantalon, au lieu d’un bermuda, sous leur blouse de travail (Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40273). En revanche, un employeur ne peut imposer, par voie de règlement intérieur, le port obligatoire d’une cravate et l’interdiction de porter ni « jeans ni baskets » à des ambulanciers, dès lors que la convention collective ne prévoit que l’obligation d’une tenue soignée et le port obligatoire d’une blouse blanche (Cass. soc., 19 mai 1998, n° 96-41123) ;
– la nécessité d’une tenue décente : l’employeur peut exiger de ses salariés une tenue décente, même s’ils ne sont pas en contact avec la clientèle. Ainsi, le licenciement d’une employée ayant refusé à plusieurs reprises de porter un soutien-gorge sous son chemisier transparent, dans la mesure où sa tenue suggestive était de nature à susciter un trouble dans l’entreprise est justifié (Cass. soc., 22 juillet 1986, n° 82-43824). De même, le licenciement d’une vendeuse en boulangerie ayant porté à deux reprises une robe laissant apparaître ses sous-vêtements est justifié (CA Douai, 30 septembre 2010, n° 09/03045).
Enfin, il convient de rappeler que les représentants du personnel ont un rôle important à jouer dans la préservation des libertés individuelles des salariés. Les élus du CSE doivent en particulier être informés et consultés préalablement à toute modification du règlement intérieur d’entreprise ou à la diffusion d’une note de service ou tout autre document comportant des restrictions aux libertés des salariés (art. L1321-4 et L1321-5 CT). Ils disposent, en outre, d’un droit d’alerte en cas d’atteinte aux libertés individuelles dans l’entreprise (art. L. 2312-59 CT).
Article rédigé par Par Jean-Baptiste Merlateau, avocat, JDS Avocats