Dossier

Quand l’économie est sociale et solidaire…

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L’économie sociale et solidaire est un pan d’activité essentiel de notre société. Mais sait-on vraiment ce que recouvre l’ESS ?  Derrière cet acronyme, des milliers de salariés oeuvrent dans des activités très diverses. L’ESS témoigne aussi avec son observatoire national de l’accroissement des inégalités et de la pauvreté dans notre société. Regard sur un secteur qui nous concerne tous. Par Ronan Darchen (cabinet Alinéa)

L’ESS réunit, au sein de près de 160 000 entreprises, 2,4 millions de salariés auxquels il convient d’ajouter le soutien de plus d’un million de bénévoles. Toutes les structures ne sont pas des associations puisqu’on compte aussi des fondations, des mutuelles et des coopératives.

Des pertes d’emplois limitées pour l’ESS

Le premier confinement a pesé puisque plus de 50 000 emplois ont disparu au second trimestre 2020 comparativement au niveau d’emploi de juin 2019 mais la baisse sur l’année 2020 a finalement été plus limitée qu’il n’a été craint. La crise liée à la Covid-19 aura coûté tout de même 18 000 emplois à l’ESS en fin d’année 2020 soit une baisse proche de 1 % des emplois de l’ESS. Les acteurs du secteur ont toutefois une lecture positive considérant avoir mieux résisté que le reste de l’économie. Certains de ses salariés ont été surmobilisés et exposés pendant la crise sanitaire quand d’autres acteurs de l’ESS concernés par les restrictions sanitaires étaient contraints de tout stopper. Cela ne veut pas dire en effet qu’aucune entreprise du secteur n’a souffert : pensez au tourisme social, aux associations sportives et culturelles réduits à l’inertie de longs mois ! Après plusieurs confinements, des accès impossibles aux infrastructures, les pratiques sportives se sont un peu plus individualisées et les clubs peinent à reformer leurs équipes. Certaines personnes restent aussi frileuses à l’idée de pratiques en groupe, qu’il s’agisse de sport, de danse ou de musique. 

« Le premier confinement a pesé puisque plus de 50 000 emplois ont disparu au 2nd trimestre 2020 vs le niveau d’emploi de juin 2019. La crise liée à la Covid-19 aura coûté tout de même 18 000 emplois à l’ESS en fin d’année 2020 soit une baisse proche de 1 % des emplois de l’ESS »

Mobilisés contre la crise sanitaire, les salariés engagés dans l’action sociale et sanitaire pour leur part l’ont été pleinement, en première ligne. Le rebond de l’emploi fin 2020 répond aux réouvertures d’établissements, notamment scolaires, du second semestre qui a connu des confinements moins stricts. Quand on dénombre les établissements de l’ESS, le solde est négatif, en retrait de plus de 2 % comparé à 2019. Certaines associations sont en sommeil ou survivent grâce à leurs bénévoles. Car c’est aussi une particularité de l’ESS que de connaître de petites structures comptant parfois très peu de salariés : plus d’une de ces structures sur trois intervient dans le secteur culturel et a recours aux contrats intermittents.

« Quand on dénombre les établissements de l’ESS, le solde est négatif, en retrait de plus de 2 % comparé à 2019. Certaines associations sont en sommeil ou survivent grâce à leurs bénévoles. Plus d’1 de ces structures sur 3 intervient dans le secteur culturel avec des contrats intermittents »

L’ESS alerte sur la montée des inégalités

Les ménages n’ont jamais autant épargné qu’à l’occasion de la crise sanitaire de 2020, relaient à l’envi l’ensemble des médias. Le pouvoir d’achat a progressé de 8 % ces 4 dernières années clame l’exécutif. Les entreprises peinent à pourvoir 1,8 million d’emplois et le chômage reflue si bien que le gouvernement voit aussi le moment propice pour imposer la mise en application de sa réforme de l’assurance-chômage, celle que les syndicats, tous réunis, comdamnent considérant qu’elle va accentuer précarité et pauvreté. Qui dit vrai ou plutôt quelle réalité se cache derrière ces chiffres globaux ?

Le rapport 2020 de l’observatoire de l’ESS pointent de grandes inégalités à la fois économiques et sociales. Tout d’abord face à la pandémie puisqu’il apparaît clairement que le virus n’a pas décimé uniquement les populations plus âgées. La mortalité a été plus forte dans les territoires et parmi les populations les plus pauvres. Les capacités d’accueil ont pu faire défaut mais surtout les classes sociales les moins favorisées cumulent plusieurs facteurs de risques : des métiers souvent plus exposés, des lieux de vie surpeuplés, des trajets plus importants, un télétravail souvent impraticable, une obésité plus fréquente, des maladies telles que le diabète ou l’hypertension plus présentes. Les personnes en supoids ont connu un taux de mortalité équivalent aux plus de 75 ans. L’exemple de la Seine-Saint-Denis est frappant : un taux de pauvreté supérieur de plus de 14 points à la moyenne nationale (28,4 % contre 14,8 %) et une surmortalité au mois d’avril 2020 de 130 % contre 74 % à Paris. Nous pouvons dire que la Covid-19 a agi comme un révélateur en accentuant des inégalités déjà criantes en matière de santé.

La pauvreté dans la population a progressé aussi sous l’effet du confinement. La fermeture des cantines a plus pesé sur le budget familial des familles mono-parentales comptant plusieurs enfants que le refus de l’employeur d’accorder des titres restaurant aux cadres en télétravail. L’économie informelle, source de revenus complémentaires, a connu une mise en sommeil alors que les personnes qui en vivent ne sont pas celles qui étaient le mieux protégées par le chômage partiel. L’ESS s’attend à de prochaines années difficiles car le rédémarrage de l’économie ne bénéficie pas prioritairement à ces populations et certains effets de la crise sont différés ; les besoins d’accompagnement de proximité et les demandes de solidarité seront importants.

« Le conseil économique social et environnemental (CESE) a publié des préconisations en mars 2021 alertant sur les effets entre les genres de la crise sanitaire. Le conseil a souligné que les métiers du « front » sont principalement occupés par des femmes et très présents dans l’ESS. Il appelle à la fois à une revalorisation de la classification des emplois et des rémunérations »

Des salarié(e)s de l’ESS surexposé(e)s

Le « quoiqu’il en coûte » a indéniablement eu un effet amortisseur important pour limiter les pertes d’emplois en CDI dans l’économie globale du pays mais les contrats courts n’ont pas été renouvelés et l’activité partielle, même « bonifiée », n’a pas été synonyme de maintien des rémunérations pour tous. Les ouvriers et employés (4 sur 10) ont été plus nombreux que les cadres (3 sur 10) à connaître une baisse et si l’épargne a gonflé dans le pays, les plus modestes se sont endettés. Ainsi sur le plan de la richesse, l’écart s’est également accru entre les plus aisés et les plus pauvres. Les salariés de l’ESS ne sont pas les mieux rémunérés loin de là mais ont aussi été confrontés aux populations en difficulté.

La crise sanitaire a également eu un impact négatif pour de nombreuses femmes. La quête d’égalité avec les hommes a non seulement été freinée par la crise sanitaire mais un retour en arrière est même constaté. Ainsi, la double journée déjà souvent présente s’est intensifiée avec la présence des enfants à la maison dans des proportions supérieures à celles de leurs homologues masculins.  Près d’une femme active sur deux l’affirme contre moins d’un homme sur trois. De surcroît, les alertes se sont multipliées pour signaler l’envolée des violences conjuguales. L’ESS est un secteur qui emploie une majorité de femmes dans plusieurs de ses métiers (aides à domicile, aides-soignantes, infirmières,…) qui de fait ont été surexposées. Certaines ont perdu en rémunération voire leur emploi en raison des fermetures administratives quand beaucoup d’autres ont été à l’inverse mobilisées en première ligne. Le CESE (conseil économique social et environnemental) a publié un avis et des préconisations en mars 2021 qui alerte sur les effets entre les genres de la crise sanitaire. Le conseil a pu souligner que les métiers qu’on appelle désormais ceux du « front » sont principalement occupés par des femmes et très présents dans l’ESS. Il appelle à la fois à une revalorisation de la classification des emplois et des rémunérations.

Des structures résilientes

L’ESS compte une grande diversité de formes juridiques, associations, coopératives, mutuelles, fondations et parmi elles, les associations ont été les plus affectées par les pertes d’emploi. Les restrictions sanitaires ont eu un effet direct sur l’activité des associations puisque nous ne sortions plus de chez nous ! D’ailleurs en cette rentrée scolaire, les clubs sportifs et associations culturelles retrouvent difficilement la totalité de leurs adhérents et certaines voient leur rayonnement fragilisé, les cotisants faisant défaut. Toutefois, souvent grâce à la permanence des bénévoles et l’appui de leurs fédérations, elles n’ont pas disparu et reprennent petit à petit de la vigueur. Du côté des coopératives, des éléments économiques peuvent être soulignés pour expliquer leur bonne résistance : une présence sur des activités essentielles même en temps de crise et des réserves financières imposées statutairement qui permettent de passer les coups durs à la différence de sociétés dont les actionnaires ponctionnent systématiquement les bénéfices des années antérieures. Il est même remarquable d’observer que le nombre de SCOP et SCIC a augmenté en 2020 !   En revanche, on ne mettra pas sur le dos de la Covid les fermetures d’agences et les pertes d’emploi associées à des banques coopératives ou encore à des mutuelles. Ce mouvement est engagé depuis plusieurs années, plus fort et plus rapide dans l’économie capitaliste mais effectif aussi dans l’ESS. Les mutuelles ont en revanche créé des emplois pour l’action sociale et multiplié les actions de solidarité pendant la crise. La tendance est encore plus marquée pour les fondations où l’emploi a progressé (tout comme les dons d’ailleurs), principalement dans le secteur hospitalier évidemment.

L’action sociale et sanitaire à la rescousse

Ce pan de l’ESS concerne d’une part l’hébergement social ou médico-social de publics fragilisés qu’il s’agisse de personnes en situation de handicap,  d’individus âgés ou en grande précarité et d’autre part, les activités sans hébergement comme l’accueil des jeunes enfants, l’aide à domicile et bien d’autres actions sociales et solidaires. Il est significatif de constater que fin 2020, l’emploi a progressé de 1,7 % soit près de 7 000 postes pour la partie hébergement. Au niveau du secteur de l’ESS cela contribue naturellement à atténuer la perte d’emplois globale du secteur. Mais c’est aussi révélateur des besoins croissants de la population parmi laquelle la demande porte autant pour les personnes âgées que l’enfance en difficulté. L’hébergement social pour les familles et adultes en situation de précarité est également très sollicité en lien avec l’augmentation de la pauvreté. Les conditions d’emploi sont toutefois difficiles et les salaires si peu attractifs que le recrutement est difficile : les Ehpad manquent de personnels et les démissions ont été encore plus nombreuses sous l’effet de la crise sanitaire. Pénibilité du travail et salaires faibles conduisent toujours à un turn-over élevé alors que l’ESS a montré durant la crise que l’économie prend son sens avec une utilité sociale. Les métiers de l’ESS font partie de ceux qui sont le plus présents aux côtés de la population, préservant une proximité, exerçant ainsi une veille sur les plus fragiles, y compris par une présence dans les zones rurales les plus reculées. L’ESS présente une dimension caritative à l’image de la Croix rouge ou des Restos du cœur, une réactivité face à l’urgence sociale. Les structures d’insertion par le travail (IAE) ont été nombreuses à confectionner les masques qui faisaient défaut au début de la crise sanitaire…

L’ESS tournée vers l’avenir

L’économie capitaliste est tournée vers le profit à la différence de l’ESS même si le secteur ne peut méconnaître les contraintes financières de toute activité. C’est probablement un atout alors que la transition écologique est devenue une urgence. L’ESS ne dépend pas d’un commerce mondialisé et n’est pas animée par la valorisation du capital et la maximisation des profits. Elle est originellement une économie de proximité pour répondre aux besoins sociaux ; ce qui l’ancre dans les territoires et lui permet de déployer sa solidarité.  Autrement dit, les entreprises du secteur de l’ESS non seulement contribuent mais montrent l’intérêt d’une économie à l’échelle locale. C’est par exemple le cas dans le réemploi des déchets industriels. Alors que 70 % des déchets produits en France chaque année proviennent de la construction et de la démolition, seuls 1 % seraient réutilisés, nous indique l’ADEME (agence de la transition écologique) mais quelques coopératives se sont lancées sur cette voie et des cycles de formation certifiante sont ouverts donnant des perspectives pour de nouveaux métiers faisant le lien entre le soutien de l’humain, le local et le respect de l’environnement. De bonnes raisons d’espérer et de croire en l’intelligence collective pour avoir appris de « l’épreuve Covid »…

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