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SEXISME AU TRAVAIL : Comment le CSE peut-il réagir ?

Les comportements sexistes restent fréquents dans le monde du travail, alors qu’une large palette d’outils, parfois méconnus, est à la disposition des comités sociaux et économiques pour lutter contre les agissements de ce type.

Par Estelle Denoual, avocate en droit social et droit du travail chez Greenwich

© photo Markus Winkler de Pixabay

Entre les blagues de mauvais goût devant la machine à café, les commentaires déplacés à destination des collaborateurs.trices, les regards lourds, ou les observations de comptoir sur les femmes enceintes, de nombreux salariés ont assisté à des comportements à connotation sexiste ou sexuelle dans le monde du travail. D’après le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, en 2021, plus de 40 % des femmes de 18 à 74 ans ayant exercé un emploi déclarent avoir été victimes de tels agissements (ce chiffre tombant à 14,9 % chez les hommes sondés). En définitive, la culture d’entreprise demeure marquée par des sous-entendus qui n’y ont pas leur place.

Former et prévenir

Pour y remédier, un travail en profondeur s’impose. Les élus du comité social et économique (CSE) peuvent à cet égard jouer un rôle de premier plan, par exemple en élaborant des outils lors de réunions visant à lutter contre les agissements sexistes, ou en désignant en leur sein une personne référente sur les questions relatives au harcèlement sexuel et aux comportements sexistes (article L. 2314-1 du Code du travail).

Leur action peut s’étendre à la communication interne et externe de l’entreprise en sorte que celle-ci véhicule moins de stéréotypes genrés. Le CSE dispose d’attributions sur les actions de formation et il peut donc, à ce titre, œuvrer pour que des formations sur les violences ou les discriminations, soient dispensées aux collaborateurs.trices.

Et dans la mesure où le CSE est impliqué dans la cartographie des risques et doit veiller aux conditions de travail et d’emploi, il importe de considérer avec sérieux la question des agissements sexistes et de leurs incidences sur la sécurité et la santé des salarié.es en l’intégrant notamment au sein du plan de prévention.

Ces actions préventives doivent être doublées d’évaluations régulières destinées à évaluer l’impact des mesures mises en œuvre. Interroger le personnel à l’aide de questionnaires sur la perception du sexisme dans l’entreprise permet par exemple de déterminer ce qui fonctionne et ce qu’il reste à améliorer.

Recourir aux outils légaux

Dans cet ambitieux chantier, le CSE pourra utilement s’appuyer sur un arsenal juridique très étoffé : ainsi, le Code du travail prohibe depuis plusieurs années le harcèlement sexuel et la discrimination à raison du sexe. Le fait de porter atteinte à la dignité d’une personne ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant correspond à la notion d’agissement sexiste, un concept introduit dans les textes depuis une loi du 17 août 2015 (article L. 1142-2-1 du Code du travail). À l’inverse du harcèlement qui suppose une répétition de faits, il suffit d’un seul et unique fait pour caractériser un agissement sexiste, quelle que soit sa forme (geste, propos, écrit, comportement). Dès lors que la santé de la victime pourrait être potentiellement affectée, l’agissement peut être sanctionné, la simple exposition à un environnement sexiste permettant d’agir en justice.

Depuis le 1er avril 2023, l’outrage sexiste aggravé est devenu un délit passible d’une amende de 3 750 euros, alors qu’il s’agissait auparavant d’une simple contravention, preuve que le législateur entend muscler la répression face à de tels comportements. Les juges aussi se montrent enclins à donner pleine efficacité à ces dispositions : la Cour de cassation a récemment considéré que le licenciement pour faute grave d’un animateur de jeu télévisé était justifié ; celui-ci ayant tenu, sur le ton de la plaisanterie, des propos misogynes[1]. En l’espèce, il avait laissé entendre que pour se faire comprendre de son épouse, un homme pouvait recourir aux coups de poing…

La blague n’a ainsi pas été du goût des magistrats qui ont estimé que le licenciement s’inscrivait dans un « but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques ». Ils ont ajouté que les remarques émises par le salarié reflétaient « une banalisation des violences à l’égard des femmes » qui pouvait porter atteinte à la réputation et aux droits de l’employeur.

En tant que représentant.es du personnel, les membres du CSE se doivent d’être exemplaires dans ce domaine, d’autant plus que les salarié.es doivent être en mesure de se confier à leurs élu.es en cas de difficulté.

Positionner l’entreprise comme un acteur engagé

Par leurs échanges réguliers avec l’employeur, les membres du CSE peuvent amener celui-ci à prendre ses responsabilités. Depuis 2016, par exemple, la loi impose de faire figurer dans le règlement intérieur les dispositions légales relatives aux agissements sexistes. Intermédiaires entre la direction et la communauté de travail, les élu.es peuvent aussi encourager l’employeur à mettre en œuvre des procédures disciplinaires lorsque la situation l’impose.

Au-delà de l’aspect répressif, le CSE peut inviter l’employeur à s’investir plus fortement à l’aide du « kit pour agir contre le sexisme » conçu par le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce dispositif destiné aux employeurs insiste sur la visibilité du positionnement et enjoint aux dirigeants d’entreprise d’afficher leur engagement contre le sexisme auprès des salarié.es, que ce soit par des messages diffusés sur l’intranet ou par le biais d’une newsletter exposant des échanges à caractère sexiste dans le but de faciliter une prise de conscience des collaborateurs.trices face au sexisme dit « ordinaire ».

Baliser le parcours des victimes

Enfin, le CSE veillera à ce que, dans l’hypothèse où des propos ou des comportements sexistes lui seraient rapportés, soient mises en place des procédures simples, claires et connues d’avance pour que la prise en charge des salarié.es victimes, comme celle des auteurs présumés, préserve les droits de chaque partie impliquée. Dans ces circonstances, les membres du CSE se doivent de prévenir l’employeur en recourant à leur droit d’alerte, quitte à saisir le Conseil de prud’hommes si aucune action n’est mise en œuvre pour sauvegarder la santé et la sécurité des salarié.es.

Ces nombreux outils montrent que le CSE peut jouer un rôle pilote dans la lutte contre les agissements sexistes, contribuant ainsi à rendre l’environnement de travail plus sûr et plus sain pour l’ensemble du personnel de l’entreprise.


[1] Cass. soc., 20 avril 2022, 20-10.852.

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