Juridique

Télétravail : une nouvelle étape ?

© Shutterstock

En pleine période de confinement, le 26 novembre 2020, les partenaires sociaux ont abouti à un accord national interprofessionnel (ANI) sur le télétravail[1]. Doté d’un intitulé flatteur : « Pour une mise en œuvre réussie du télétravail », cet ANI représente-t-il une réelle avancée pour les droits des travailleurs ? Notre enquête.

Par Valérie Pontif


[1] Cet ANI a été signé par les organisations syndicales et patronales suivantes : FO, CFE-CGC, CFDT, CFTC, MEDEF, U2P, CPME.

Avec la crise sanitaire, le télétravail s’est développé d’une manière exponentielle et inédite, non sans improvisation dans de nombreuses entreprises qui n’avaient pas l’habitude d’y recourir. Développé de manière inégale chez nos voisins européens[1], le télétravail concerne désormais des travailleurs aux profils très variés[2], placés dans des situations très différentes pour exercer leur travail. Si certains ont des consignes de travail claires, conservent des liens avec leurs collègues et leur hiérarchie et disposent d’un matériel adéquat, combien de travailleurs n’ont pas les moyens en termes d’espace et de matériel pour travailler dans de bonnes conditions ou n’ont pas un « cadre » de travail à distance clairement défini ? À la clé, les risques sont nombreux : isolement, dilution du collectif de travail, difficultés à articuler la vie personnelle et la vie professionnelle, notamment lorsque le droit à la déconnexion n’est pas effectif…


[1] Le télétravail est notamment développé aux Pays-Bas, Danemark, moins dans les pays du Sud de l’Europe.

[2] Il ressort du document questions-réponses du ministère du Travail du 10 novembre 2020 que le télétravail « doit être généralisé pour l’ensemble des activités qui le permettent ».

Zoom sur le « nouvel ANI »

Le thème du télétravail n’est pourtant pas dépourvu de règles juridiques, loin de là : accord-européen de 2002, ANI du 19 juillet 2005, loi du 22 mars 2012, ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Le nouvel ANI va-t-il apporter des réponses concrètes aux télétravailleurs ? L’ANI du 26 novembre a le mérite de se baser sur un diagnostic mené par les partenaires sociaux de juin à septembre 2020, pour répertorier les enseignements du premier confinement en matière de télétravail, ainsi que les questions qui se posent dans la perspective d’un développement du télétravail à l’issue de la crise sanitaire (autrement dit dans un contexte « normalisé »). L’ANI sur le télétravail adopte une conception large du télétravail en visant « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ses locaux, de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Ce qui inclut à la fois le travail effectué au domicile du salarié ou sur un site de coworking. Il aborde des sujets importants : dialogue social pour la mise en œuvre du télétravail, télétravail en cas de circonstances exceptionnelles, réaffirmation de la prise en charge par l’employeur des dépenses engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle…

Examinons concrètement ce que prévoit cet ANI concernant la volonté du salarié en matière de télétravail, puis en matière de santé.

Volonté du salarié et télétravail

L’ANI aborde le télétravail dans le cadre de circonstances exceptionnelles, point sur lequel le Code du travail est peu bavard. Dans ce cas, rappelons que l’employeur n’a pas à requérir l’accord des salariés. Il s’agit d’un simple aménagement du poste de travail. Les salariés doivent en être informés par tout moyen (période pendant laquelle ils seront en télétravail, plages horaires de travail dans la journée…) et le CSE doit être consulté dans les plus brefs délais.

En-dehors des circonstances exceptionnelles, le télétravail repose sur le principe du double volontariat de l’employeur et du salarié. L’ANI fait d’ailleurs ressortir la nécessité que le recours au télétravail ne soit pas « source de difficultés » entre salariés. Autrement dit, les critères pour qu’un poste de travail soit éligible au télétravail doivent être transparents. La définition des critères d’éligibilité peut « alimenter » le dialogue social selon l’ANI. Concernant le passage en télétravail, l’ANI rappelle que les modalités d’accès pour les salariés sont contenues dans l’accord collectif ou la charte organisant sa mise en place (nombre de jours, charge de travail, prise en charge des frais professionnels…). Lorsqu’il n’y a ni accord ni charte, le recours au télétravail est légalement possible. Mais l’ANI conseille aux parties de formaliser l’accord par écrit, afin d’en établir la preuve.

L’ANI aborde également le retour à un travail en présentiel. Le salarié a-t-il le droit de reprendre son travail sur son lieu de travail ? L’ANI distingue le cas où une clause de réversibilité est prévue par les parties lors du passage en télétravail. Dans cette hypothèse, le retour dans les locaux de l’entreprise s’organise dans les conditions définies par la clause. En revanche, si le télétravail fait partie des conditions d’embauche, le salarié peut alors postuler sur des postes vacants s’exerçant dans les locaux de l’entreprise, en bénéficiant d’une simple priorité d’accès à ces postes.    

Santé et télétravail

L’ANI rappelle que les dispositions légales sont applicables y compris en cas de télétravail ; ce qui implique notamment le respect des durées maximales de travail, de repos… En cas de problème, les télétravailleurs peuvent bien entendu s’adresser à leurs représentants au CSE, ainsi qu’à leur hiérarchie, ou encore à la médecine du travail. L’ANI rappelle aussi l’application pour les télétravailleurs de la présomption d’imputabilité prévue par le Code du travail.

On peut toutefois noter une formule énigmatique : l’ANI précise qu’il « doit être tenu compte du fait que l’employeur ne peut avoir une complète maîtrise du lieu dans lequel s’exerce le télétravail et de l’environnement qui relève de la sphère privée ». Est-ce l’amorce d’un désengagement ?

Enfin, pour les aidants familiaux et les personnes souffrant d’un handicap ou de problèmes de santé, on peut regretter que l’ANI se borne à envisager le recours au télétravail seulement comme une possibilité et non comme un véritable droit pour ces personnes.

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