Dès sa confirmation législative en 1979, le contrat à durée déterminée (CDD) a séduit les employeurs même si le CDI demeure encore la règle aujourd’hui. Si le recours aux CDD est strictement encadré par la loi, exceptionnel par nature et réservé à des situations ou secteurs d’activité précis, les recours excessifs et les abus sont pourtant fréquents et bien souvent au détriment de salariés précarisés. Un sujet qui interroge la politique de l’emploi censée réguler et corriger les dysfonctionnements du marché du travail. Faisons le point !
Les conditions de validité d’un contrat à durée déterminée sont cumulatives : il doit être conclu pour une tâche précise et temporaire d’une part, et ne pas avoir pour effet ou objet de pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, d’autre part.
L’encadrement nécessaire du CDD
Bref, le CDD est un contrat d’exception quand certains voudraient qu’ils soient la règle. Certains contrats spéciaux liés aux politiques d’emploi en faveur de l’insertion échappent quand même à cette règle : les CIE ou contrats d’initiative emploi, les CAE ou contrats d’accompagnement dans l’emploi et les CUI ou contrats uniques d’insertion.
« Favoriser la stabilité de l’emploi par l’adaptation des contrats précaires » : tel était le titre d’un texte législatif de 1990 transposant un accord national interprofessionnel. D’autres lois suivront pour aboutir au régime actuel du CDD. Ainsi, la loi de modernisation sociale de 2002 contient des dispositions relatives à la lutte contre le travail précaire destinées à rechercher la protection des salariés embauchés sous CDD, en fixant le taux d’une indemnité de fin de contrat et en imposant un délai de carence entre deux contrats à durée déterminée.
Bien qu’il s’agisse de contrats précaires, les lois suivantes auront surtout tendance à élargir les possibilités d’y recourir et de renouveler les CDD. Mentionnons tout de même, la disposition de l’ANI de janvier 2013 reprise par la loi de sécurisation de l’emploi et de compétitivité des entreprises (juin 2013) qui permet de majorer ou minorer les cotisations patronales à l’assurance-chômage pour limiter le recours à des CDD de courte durée. Une mesure qui fait encore grand débat parmi le patronat. Fort heureusement, les cas de recours ne sont pas négociables : le Code du travail et lui seul fixe la liste des cas dans lesquels un CDD peut être conclu.
La réforme de 2017 est toutefois passée par là en instaurant la primauté de l’accord sur les dispositions supplétives de la loi. Ainsi, les règles correspondant à la spécificité des secteurs d’activité sont négociées et mises en place par accord de branche et les mesures relatives aux CDD – qu’il s’agisse de la durée du contrat, de possibilités de renouvellement et de conclusion de CDD successifs – font partie des sujets pour lesquels la branche sera prioritaire. Par exemple, la métallurgie limite la carence entre deux CDD à vingt-et-un jours ou un quart de la durée du contrat pour occuper un même poste, et la convention collective nationale (CCN) import-export autorise jusqu’à trois renouvellements de contrat. Dans les travaux publics, le délai de carence est supprimé si le premier CDD a une durée d’au moins un mois… Plusieurs conventions collectives aménagent ainsi ce qui peut l’être pour flexibiliser un peu plus le recours aux contrats de travail à durée déterminée.
Toujours plus de souplesse !
La loi Pénicaud de 2018 est allée plus loin : à titre expérimental pour les années 2019 et 2020, elle a autorisé pour onze secteurs professionnels de conclure un seul CDD pour remplacer plusieurs salariés absents, successivement, ou sur deux mi-temps. La loi post-Covid dite « d’urgence relative au fonctionnement du marché du travail en vue du plein-emploi » du 21 décembre 2022 a réactivé cette expérimentation des contrats multiremplacements pour deux ans de plus soit jusqu’en avril dernier. Cela posé, les limites à la conclusion d’un CDD restent d’ordre public et sont énumérées à l’article L1242-2 du Code du travail. On y trouve donc le remplacement d’un salarié absent, d’un chef d’entreprise, l’accroissement temporaire d’activité, les emplois à caractère saisonnier et temporaire même si la situation revient régulièrement (exemple de certains travaux agricoles), et pour le recrutement d’ingénieurs et cadres pour la réalisation d’un objet défini quand leur convention collective ou un accord d’entreprise le permet. Un CDD en dehors de ces cas est réputé avoir été conclu à durée indéterminée et peut donner lieu à des sanctions pénales. Et, bien entendu, pas de CDD pour remplacer des salariés en grève !
En pratique, le recours le plus fréquent utilisé par l’entreprise est le remplacement de salariés absents. Pourtant, la tentation existe de jongler avec plusieurs absences pour conserver l’employé qui convient sans pour autant lui proposer le CDI qu’il est en droit de se voir proposer. C’est un point de vigilance évident pour le CSE et les organisations syndicales qui ont à cœur que l’emploi soit stable mais aussi que l’effectif soit en adéquation avec la charge de travail réelle. La jurisprudence se montre aussi attentive aux successions de CDD même si l’employeur argumente devoir faire face à des absences imprévues. Ainsi, un même salarié peut additionner les CDD pour remplacer plusieurs CDI absents mais pas n’importe comment : un contrat doit exister pour chaque remplacement et le salarié remplacé doit être nommé car il ne s’agit pas que l’employeur constitue une sorte de « stock tampon ».
Le CDD multiremplacement bientôt confirmé ?
La loi Avenir professionnel de septembre 2018 a introduit le CDD multiremplacement pour permettre des remplacements successifs de salariés différents ou de mi-temps temporaires. Parmi les secteurs autorisés au titre de la première expérimentation figuraient les employeurs du secteur sanitaire, social et médico-social, qui auront été les premiers « consommateurs » de la nouvelle formule, mais aussi celui de la propreté et du nettoyage ou encore l’économie sociale pour des activités comme le tourisme, le sport et les services à la personne. Plus étonnamment, la plasturgie a fait partie des onze secteurs « qualifiés » initiaux. Le remplacement peut également intervenir au moyen de contrats de travail temporaire (CTT).
Considérant que les effets étaient positifs, la seconde expérimentation issue de la loi Marché du travail de décembre 2022 a reconduit le dispositif pour deux ans en élargissant sensiblement les entreprises éligibles puisque 19 nouvelles branches ont été ajoutées aux 11 premiers secteurs. Enfin, un décret au mois de juin 2024 a ajouté 3 secteurs : le ferroviaire, les transports publics urbains et la RATP.
Aujourd’hui, le dispositif est arrivé à son terme en avril 2025 et la direction générale du travail en tire un bilan plutôt positif si bien qu’une généralisation est probable. En tout cas, elle est actuellement à l’étude puisqu’une extension et consécration législative ne seront possibles qu’au terme d’une étude.
La loi Marché du travail a en effet prévu qu’un rapport gouvernemental soit remis au Parlement dans les trois mois suivant la fin de l’expérimentation soit à l’été 2025. Il s’agit notamment d’observer les effets du dispositif sur la fréquence de conclusion des CDD, leur durée, puisqu’un objectif est de les allonger, et sur les négociations qui ont été engagées au niveau des branches. Le secteur médico-social a ainsi concentré les deux tiers des 15 000 CDD multiremplacements conclus entre avril 2023 et août 2024 et il en ressort effectivement des durées de CDD plus longues.
Comme les autres CDD, ce contrat peut être conclu à terme précis ou imprécis. À terme précis, le contrat multiremplacement devra respecter la durée maximale fixée par l’accord de branche étendu ou la durée légale maximale de dix-huit mois, renouvellement compris. La règle est la même pour un CTT. S’il est à terme imprécis, le contrat doit prévoir une durée minimale et se terminer au retour du salarié absent.
Bon à savoir : Le CDD multi-remplacement L’expérimentation permet de recourir au CDD quel que soit le motif de l’absence (maladie, congés payés, passage provisoire à temps partiel, départ définitif précédant la suppression du poste de travail, attente de l’entrée en service effective d’un salarié recruté en CDI…) si bien que la probabilité d’avoir un CDI à remplacer après l’autre est élevée : alors faut-il pérenniser le CDD multiremplacement ou conclure que l’organisation du travail nécessite quelques CDI de plus ?
CDD ou CDI, ne faut-il pas choisir de stabiliser les salariés plutôt que les maintenir dans une forme de précarité ? Et d’ailleurs, n’est-ce pas également pesant pour les employés en poste que de voir se succéder des CDD sur des postes identiques aux leurs ? N’est-ce pas susceptible de générer un risque psychosocial même ? S’il n’est pas possible de prévoir dans un contrat multiremplacement une période d’inactivité entre deux remplacements, la conclusion d’un nouveau contrat immédiatement après avec la même personne pour remplacer un autre salarié dont l’absence débute postérieurement au terme du premier contrat est possible. Les postes et les motifs de replacement peuvent être différents ; alors vive le CDD polyvalent bien que le risque d’un recours excessif paraisse assez évident d’autant que le nombre de salariés pouvant être remplacés n’est pas limité par la loi.
L’alerte sociale, un outil du CSE
Il est sans doute le moins connu des droits d’alerte du CSE mais c’est un moyen efficace pour interpeller un employeur quand la représentation du personnel constate une dérive en matière de recrutement et un recours possiblement abusif aux contrats précaires.
Deux articles du Code du travail peuvent être mobilisés à cette fin. L’article L2312-70 stipule que « lorsque le nombre des salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée et le nombre de salariés temporaires connaissent un accroissement important par rapport à la situation existant lors de la dernière réunion du comité social et économique ayant abordé ce sujet, l’examen de cette question est inscrit de plein droit à l’ordre du jour de la prochaine réunion ordinaire du comité si la majorité des membres du comité le demande ». L’objectif est alors que l’employeur communique le nombre de CDD et de CTT ainsi que les motifs de recours et le nombre de jours réalisés. Cet article est à combiner avec le suivant, l’article L2312-71 qui prévoit que le CSE qui constate un recours abusif va pouvoir saisir l’inspection du travail qui effectuera un contrôle et établira un rapport pouvant conduire à exiger un plan de résorption de la précarité. Le CSE est destinataire du rapport communiqué à l’employeur qui doit apporter une réponse appropriée. Si les entreprises se plaignent d’une moindre fidélisation du personnel, peut-on aussi observer les raisons d’un taux de rotation de la main-d’œuvre qui a tant augmenté ces trente dernières années ? Cette hausse résulte en grande partie du développement des CDD très courts et les pratiques ont provoqué une dualisation du marché du travail entre des salariés en CDI et d’autres multipliant les CDD et CTT. Si le CDD multiremplacement permet certainement un allongement de la durée contractuelle, cela reste un contrat précaire et ne pousse pas au recrutement en CDI. Il ne faudrait pas que la vieille demande du Medef consistant à vouloir la fin du CDI aboutisse par un développement massif d’un nouveau genre de CDD. À suivre…
Article rédigé par Ronan Darchen, cofondateur d’Alinéa