Déployé à marche forcée lors de la crise sanitaire et désormais ancré dans notre quotidien, le télétravail se trouve accentué avec la crise de l’énergie, les pénuries d’essence… « Mais le droit du travail n’a pas suivi ce mouvement et il existe de nombreux vides juridiques avec peu de certitudes et de nombreuses zones d’ombre », alerte Émilie Meridjen, associée en droit du travail chez Sekri Valentin Zerrouk (photo).
Sur le volet des acquis, rappelle l’avocate, les télétravailleurs sont égaux en droit et disposent des mêmes droits et avantages. En outre, l’employeur assume le remboursement des frais de transports publics entre le lieu de travail et le domicile du salarié et même si le choix du domicile du salarié résulte d’une décision unilatérale.
En revanche, des incertitudes demeurent. Notamment pour ce qui est des frais liés au télétravail (indemnité d’occupation du domicile de 20 € mensuels/ salarié en moyenne sauf si bureau à disposition) et du contrôle du temps de travail. « L’employeur opère le même contrôle que pour les salariés sur site. Mais, mettre en place au domicile du collaborateur des outils de contrôle serait attentatoire à la vie privée… C’est à l’accord collectif ou à la charte de prévoir les plages horaires pendant lesquelles le salarié est censé être joignable », nuance Émilie Meridjen. La surveillance des télétravailleurs est en conflit avec le droit au respect de la vie privée. En revanche l’employeur peut surveiller la connexion Internet et la boîte mail professionnelle.
Amender le Code du travail ?
« La loi est muette en ce qui concerne l’attribution des tickets restaurant aux télétravailleurs : en attente d’une décision de la Cour de cassation, les deux principales juridictions judiciaires (Paris et Nanterre) ont une position contraire », poursuit l’avocate associée qui souligne par ailleurs que la crise a accentué les mobilités géographiques dont l’employeur doit tenir compte pour rembourser les frais de transports publics à hauteur de 50 % (taux légal obligatoire et possibilité jusqu’à 75 %), peu importe le lieu du télétravail. Le Code du travail ne prévoit rien sur ce point. « Mais il est conseillé de soumettre ce sujet à l’accord de l’employeur », souligne Émilie Meridjen. Autres zones d’ombre dans le Code du travail : les risques liés au télétravail (aménagement du poste, RPS…) et les accidents de travail car les directions sont responsables de la prévention, santé et sécurité des salariés. « Or, la notion d’accident de travail est difficile à cerner au domicile. Chuter dans un escalier de la maison, se blesser entre son lit et son bureau… accident du télétravail ou pas ? Le droit du travail n’avait pas prévu le télétravail. Il est clairement inadapté face aux questions liées au télétravail qui a été mis en place à marche forcée lors de la première vague de confinement. Le droit du travail doit impérativement être modernisé pour être applicable et protéger à la fois salariés et employeurs sur les nouvelles méthodes de travail… La frontière entre vie privée et vie professionnelle doit être clairement définie afin d’éviter notamment les problématiques autour des heures supplémentaires et des risques psychosociaux », conclut Émilie Meridjen.
Pour finir, l’accord ou la charte instituant le télétravail doit prévoir les cas de retour à une exécution sans télétravail ; à défaut, pas de réversibilité sans l’accord du salarié. En l’absence d’accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l’employeur conviennent de recourir au télétravail, ils doivent formaliser leur accord par tout moyen.
ENCADRÉ
Chiffres-clés
- 21,7 % des salariés ont au moins un jour de télétravail
- 55 % sont des cadres vivant à Paris ou en région parisienne
- 45,8 % sont dans le secteur d’activité des services aux entreprises
- 24,3 % ont entre 30 et 49 ans
- 23,6 % sont en CDI
- 23,6 % ont un travail à temps complet
- 36 % appartiennent à des entreprises comptant 250 salariés ou plus